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LA CITÉ DE DIEU.

lement lorsque, partagés entre deux armées ennemies, comme dans Homère, les uns sont pour celle-ci, et les autres pour celle-là ; mais encore quand ils combattent pour leur propre compte contre les Titans ou les Géants[1]. Certes, il y a bien de la folie et à débiter et à croire des fictions si vaines et si mal fondées[2] ». Voilà les aveux des défenseurs du paganisme. Il est vrai qu’après avoir traité toutes ces croyances de superstition, Balbus en veut distinguer la religion véritable, qui est pour lui, à ce qu’il paraît, dans la doctrine des stoïciens : « Ce ne sont pas seulement les philosophes, dit-il, mais nos ancêtres mêmes qui ont séparé la religion de la superstition. En effet, ceux qui passaient toute la journée en prières et en sacrifices pour obtenir que leurs enfants leur survécussent[3], furent appelés superstitieux ». Qui ne voit ici que Cicéron, craignant de heurter le préjugé public, fait tous ses efforts pour louer la religion des ancêtres, et pour la séparer de la superstition, mais sans pouvoir y parvenir ? En effet, si les anciens Romains appelaient superstitieux ceux qui passaient les jours en prières et en sacrifices, ceux-là ne l’étaient-ils pas également, qui avaient imaginé ces statues dont se moque Cicéron, ces dieux d’âge et d’habillements divers, leurs généalogies, leurs mariages et leurs alliances ? Blâmer ces usages comme superstitieux, c’est accuser de superstition les anciens qui les ont établis ; l’accusation retombe même ici sur l’accusateur qui, en dépit de la liberté d’esprit où il essaie d’atteindre en paroles, était obligé de respecter en fait les objets de ses risées, et qui fut resté aussi muet devant le peuple qu’il est disert et abondant en ses écrits. Pour nous, chrétiens, rendons grâces, non pas au ciel et à la terre, comme le veut ce philosophe, mais au Seigneur, notre Dieu, qui a fait le ciel et la terre, de ce que par la profonde humilité de Jésus-Christ, par la prédication des Apôtres, par la foi des martyrs, qui sont morts pour la vérité, mais qui vivent avec la vérité, il a détruit dans les cœurs religieux, et aussi dans les temples, ces superstitions que Balbus ne condamne qu’en balbutiant.

CHAPITRE XXXI.
VARRON A REJETÉ LES SUPERSTITIONS POPULAIRES ET RECONNU QU’IL NE FAUT ADORER QU’UN SEUL DIEU, SANS ÊTRE PARVENU TOUTEFOIS À LA CONNAISSANCE DU DIEU VÉRITABLE.

Varron, que nous avons vu au reste, et non sans regret, se soumettre à un préjugé qu’il n’approuvait pas, et placer les jeux scéniques au rang des choses divines, ce même Varron ne confesse-t-il point dans plusieurs passages, où il recommande d’honorer les dieux, que le culte de Rome n’est point un culte de son choix, et que, s’il avait à fonder une nouvelle république, il se guiderait, pour la consécration des dieux et des noms des dieux, sur les lois de la nature ? Mais étant né chez un peuple déjà vieux, il est obligé, dit-il, de s’en tenir aux traditions de l’antiquité ; et son but, en recueillant les noms et les surnoms des dieux, c’est de porter le peuple à la religion, bien loin de la lui rendre méprisable. Par où ce pénétrant esprit nous fait assez comprendre que dans son livre sur la religion il ne dit pas tout, et qu’il a pris soin de taire, non-seulement ce qu’il trouvait déraisonnable, mais ce qui aurait pu le paraître au peuple. On pourrait prendre ceci pour une conjecture, si Varron lui-même, parlant ailleurs des religions, ne disait nettement qu’il y a des vérités que le peuple ne doit pas savoir, et des impostures qu’il est bon de lui inculquer comme des vérités. C’est pour cela, dit-il, que les Grecs ont caché leurs mystères et leurs initiations dans le secret des sanctuaires. Varron nous livre ici toute la politique de ces législateurs réputés sages, qui ont jadis gouverné les cités et les peuples ; et cependant rien n’est plus fait que cette conduite artificieuse pour être agréable aux démons, à ces esprits de malice qui tiennent également en leur puissance et ceux qui trompent et ceux qui sont trompés, sans qu’il y ait un autre moyen d’échapper à leur joug que la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.

Ce même auteur, dont la pénétration égale la science, dit encore que ceux-là seuls lui semblent avoir compris la nature de Dieu, qui ont reconnu en lui l’âme qui gouverne le monde par le mouvement et l’intelligence[4]. On peut conclure de là que, sans posséder en-

  1. Voyez le récit de ces combats dans la Théogonie d’Hésiode.
  2. Cicéron, De nat. deor., lib. ii, cap. 28.
  3. Le texte dit : Ut superstites essent. D’où superstitio, suivant Cicéron.
  4. C’est la doctrine de l’école stoïcienne. Voyez Cicéron, De nat. deor., lib. ii.