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LA CITÉ DE DIEU.

naître son moment fatal ? Cependant, pour éprouver la science des astrologues, on a coutume de leur apporter l’horoscope des animaux et de donner la palme à ceux qui s’écrient en le regardant : Ce n’est pas un homme qui est né, c’est une bête. Ils vont jusqu’à désigner hardiment à quelle espèce elle appartient, si c’est une bête à laine ou une bête de trait, si elle est propre au labourage ou à la garde de la maison. On les consulte même sur la destinée des chiens, et l’on écoute leurs réponses avec de grands applaudissements. Les hommes seraient-ils donc assez sots pour s’imaginer que la naissance d’un homme arrête si bien le développement de tous les autres germes, qu’une mouche ne puisse naître sous la même constellation que lui ? car, si on admet la production d’une mouche, il faudra remonter par une gradation nécessaire à la naissance d’un chameau ou d’un éléphant. Ils ne veulent pas remarquer qu’au jour choisi par eux pour ensemencer un champ, il y a une infinité de grains qui tombent sur terre ensemble, germent ensemble, lèvent, croissent, mûrissent en même temps, et que cependant, de tous ces épis de même âge et presque de même germe, les uns sont brûlés par la nielle, les autres mangés par les oiseaux, les autres arrachés par les passants. Dira-t-on que ces épis, dont la destinée est si différente, sont sous l’influence de différentes constellations, ou, si on ne peut le dire, conviendra-t-on de la vanité du choix des jours et de l’impuissance des constellations sur les êtres inanimés, ce qui réduit leur empire à l’espèce humaine, c’est-à-dire aux seuls êtres de ce monde à qui Dieu ait donné une volonté libre ? Tout bien considéré, il y a quelque raison de croire que si les astrologues étonnent quelquefois par la vérité de leurs réponses, c’est qu’ils sont secrètement inspirés par les démons, dont le soin le plus assidu est de propager dans les esprits ces fausses et dangereuses opinions sur l’influence fatale des astres ; de sorte que ces prétendus devins n’ont été en rien guidés dans leurs prédictions par l’inspection de l’horoscope, et que toute leur science des astres se trouve réduite à rien.

CHAPITRE VIII.
DE CEUX QUI APPELLENT DESTIN L’ENCHAÎNEMENT DES CAUSES CONÇU COMME DÉPENDANT DE LA VOLONTÉ DE DIEU.

Quant à ceux qui appellent destin, non la disposition des astres au moment de la conception ou de la naissance, mais la suite et l’enchaînement des causes qui produisent tout ce qui arrive dans l’univers, je ne m’arrêterai pas à les chicaner sur un mot, puisqu’au fond ils attribuent cet enchaînement de causes à la volonté et à la puissance souveraine d’un principe souverain qui est Dieu même, dont il est bon et vrai de croire qu’il sait d’avance et ordonne tout, étant le principe de toutes les puissances sans l’être de toutes les volontés. C’est donc cette volonté de Dieu, dont la puissance irrésistible éclate partout, qu’ils appellent destin, comme le prouvent ces vers dont Annæus Sénèque est l’auteur, si je ne me trompe :

« Conduis-moi, père suprême, dominateur du vaste univers, conduis-moi partout où tu voudras, je t’obéis sans différer ; me voilà. Fais que je te résiste, et il faudra encore que je t’accompagne en gémissant ; il faudra que je subisse, en devenant coupable, le sort que j’aurais pu accepter avec une résignation vertueuse. Les destins conduisent qui les suit et entraînent qui leur résiste[1] ».

Il est clair que le poëte appelle destin au dernier vers, ce qu’il a nommé plus haut la volonté du père suprême, qu’il se déclare prêt à suivre librement, afin de n’en pas être entraîné : « Car les destins conduisent qui les suit, et entraînent qui leur résiste ». C’est ce qu’expriment aussi deux vers homériques traduits par Cicéron :

« Les volontés des hommes sont ce que les fait Jupiter, le père tout-puissant, qui fait briller sa lumière autour de l’univers[2] ».

Je ne voudrais pas donner une grande autorité à ce qui ne serait qu’une pensée de poëte ; mais, comme Cicéron nous apprend que les stoïciens avaient coutume de citer ces vers d’Homère en témoignage de la puissance du destin, il ne s’agit pas tant ici de la pensée d’un poëte que de celle d’une école de philosophes, qui nous font voir très-clairement ce qu’ils entendent par destin, puisqu’ils appel-

  1. Ces vers se trouvent dans les lettres de Sénèque (Epist. 107), qui les avait empruntés, en les traduisant habilement, au poëte et philosophe Cléanthe le stoïcien.
  2. Ces deux vers sont dans l’Odyssée, chant xviii, v. 136, 137. L’ouvrage où Cicéron les cite et les traduit n’est pas arrivé jusqu’à nous. Facciolati conjecture que ce pouvait être dans un des livres perdus des Académiques.