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LIVRE VII. — LES DIEUX CHOISIS

dieux. Voilà les mystères de doctrine où Varron avait pénétré et qu’il a voulu révéler au monde. Mais, je vous le demande, ô habile homme ! n’auriez-vous pas égaré dans ces profondeurs le sens judicieux qui vous faisait dire tout à l’heure que les premiers instituteurs du culte des idoles ont ôté aux peuples la crainte pour la remplacer par la superstition, et que les anciens qui n’avaient point d’idoles adoraient les dieux d’un culte plus pur ? C’est l’autorité de ces vieux Romains qui vous a donné la hardiesse de parler de la sorte à leurs descendants, et peut-être si l’antiquité eût adoré des idoles, eussiez-vous enseveli dans un silence discret cet hommage à la vérité, et célébré d’une voix plus pompeuse encore et plus complaisante les mystères de sagesse cachés sous une vaine et pernicieuse idolâtrie. Et cependant tous ces mystères n’ont pu élever votre âme, malgré les trésors de science et de lumière que nous aimons à y reconnaître et qui redoublent nos regrets, jusqu’à la connaissance de son Dieu, de ce Dieu qui est son principe créateur et non sa substance, dont elle n’est point une partie, mais une production, qui n’est pas l’âme de toutes choses, mais l’auteur de toutes les âmes et la source unique de la béatitude pour celles qui se montrent touchées de ses dons. — Au surplus, que signifient au fond et que valent les mystères du paganisme ? c’est ce que nous aurons tout à l’heure à examiner de près. Constatons, dès ce moment, cet aveu de Varron, que l’âme du monde et ses parties sont les dieux véritables ; d’où il suit que toute sa théologie, même la naturelle qu’il tient en si haute estime, ne s’est pas élevée au-dessus de l’idée de l’âme raisonnable. Il s’étend du reste fort peu sur cette théologie naturelle dans le livre où il en parle, et nous verrons si, avec ses explications physiologiques, il parvient à y ramener cette partie de la théologie civile qui regarde les dieux choisis. S’il le fait, toute la théologie sera théologie naturelle ; et alors quel besoin d’en séparer si soigneusement la théologie civile ? Veut-il que cette séparation soit légitime ? en ce cas, la théologie naturelle, qui lui plaît si fort, n’étant déjà pas la théologie vraie, puisqu’elle s’arrête à l’âme et ne s’élève pas jusqu’au vrai Dieu, créateur de l’âme, à combien plus forte raison la théologie civile sera-t-elle méprisable ou fausse, puisqu’elle s’attache presque uniquement à la nature corporelle, comme on pourra le voir par quelques-unes des savantes et subtiles explications que j’aurai à citer dans la suite.

CHAPITRE VI.
DE CETTE OPINION DE VARRON QUE DIEU EST L’ÂME DU MONDE ET QU’IL COMPREND EN SOI UNE MULTITUDE D’ÂMES PARTICULIÈRES DONT L’ESSENCE EST DIVINE.

Varron dit encore, dans son introduction à la théologie naturelle, qu’il croit que Dieu est l’âme du monde ou du cosmos, comme parlent les Grecs, et que ce monde est Dieu ; mais de même qu’un homme sage, quoique formé d’une âme et d’un corps, est appelé sage à cause de son âme, ainsi le monde est appelé Dieu à cause de l’âme qui le gouverne, bien qu’il soit également composé d’une âme et d’un corps. Il semble ici que Varron reconnaisse en quelque façon l’unité de Dieu ; mais pour faire en même temps la part du polythéisme, il ajoute que le monde est divisé en deux parties, le ciel et la terre, le ciel en deux autres, l’éther et l’air, la terre, de même, en eau et en continent ; que l’éther occupe la région la plus haute, l’air la seconde, l’eau la troisième, la terre enfin la plus basse région ; que ces quatre éléments sont remplis d’âmes, le feu et l’air d’âmes immortelles, l’eau et la terre d’âmes mortelles ; que dans l’espace qui s’étend depuis la limite circulaire du ciel jusqu’au cercle de la lune habitent les âmes éthérées, qui sont les astres et les étoiles, dieux célestes, visibles aux sens en même temps qu’intelligibles à la raison ; qu’entre la sphère lunaire et la partie de l’air où se forment les nuées et les vents habitent les âmes aériennes, que l’esprit conçoit sans que les yeux les puissent voir, c’est-à-dire les héros, les lares, les génies ; voilà l’abrégé que nous offre Varron de sa théologie naturelle qui est aussi celle d’un grand nombre de philosophes. Nous aurons à l’examiner à fond, quand ce qui nous reste à dire sur la théologie civile relativement aux dieux choisis aura été conduit à bonne fin, avec la grâce de Dieu.

CHAPITRE VII.
ÉTAIT-IL RAISONNABLE DE FAIRE DEUX DIVINITÉS DE JANUS ET DE TERME ?

Je demande d’abord ce que c’est que Janus,