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LIVRE IX. — DEUX ESPÈCES DE DÉMONS.

propre, savoir, un corps aérien, de même que les dieux et les hommes en ont une aussi qui les distingue respectivement, les dieux un corps céleste, et les hommes un corps terrestre ; de plus, deux de ces qualités sont communes à tous, savoir le genre animal et la raison (car Apulée dit, en parlant des dieux et des hommes : « Voilà deux sortes d’animaux », et les Platoniciens ne parlent jamais des dieux que comme d’esprits raisonnables) ; restent deux qualités, l’âme sujette aux passions, et la durée éternelle : or, la première leur est commune avec les hommes, et la seconde avec les dieux, ce qui achève de les placer en un parfait équilibre entre les dieux et les hommes. Mais de quoi servirait-il à nos adversaires d’entendre ainsi les choses, puisque c’est la réunion de ces deux dernières qualités qui constitue l’éternité misérable et la misère éternelle des démons ? Et certes, celui qui a dit : Les démons ont l’âme sujette aux passions, aurait ajouté qu’ils l’ont misérable, s’il n’eût rougi pour leurs adorateurs. Si donc, du propre aveu des Platoniciens, le monde est gouverné par la Providence divine, il faut conclure que la misère des démons n’est éternelle que parce que leur malice est énorme.

Si on donne avec raison aux bienheureux le nom d’eudémons, ils ne sont donc pas eudémons ces démons intermédiaires entre les dieux et les hommes. Où mettra-t-on dès lors ces bons démons qui, au-dessus des hommes, mais au-dessous des dieux, prêtent à ceux-là leur assistance et à ceux-ci leur ministère ? S’ils sont bons et éternels, ils sont sans doute éternellement heureux. Or, cette félicité éternelle ne leur permet pas de tenir le milieu entre les dieux et les hommes, parce qu’elle les rapproche autant des premiers qu’elle les éloigne des seconds. Il suit de là que ces philosophes s’efforceront en vain de montrer comment les bons démons, s’ils sont immortels et bienheureux, tiennent le milieu entre les dieux heureux et immortels et les hommes mortels et misérables ; car, du moment qu’ils partagent avec les dieux la béatitude et l’immortalité, deux qualités que les hommes ne possèdent point, n’y a-t-il pas plus de raison de dire qu’ils sont fort éloignés des hommes et fort voisins des dieux, que de prétendre qu’ils tiennent le milieu entre les dieux et les hommes ? Cela serait soutenable s’ils avaient deux qualités, dont l’une leur fût commune avec les hommes et l’autre avec les dieux. C’est ainsi que l’homme est en quelque façon un être mitoyen entre les bêtes et les anges. Puisque la bête est un animal sans raison et mortel, et l’ange un animal raisonnable et immortel, on peut dire que l’homme est entre les deux, mortel comme les bêtes, raisonnable comme les anges ; en un mot, animal raisonnable et mortel. Lors donc que nous cherchons un terme moyen entre les bienheureux immortels et les mortels misérables, il faut pour le trouver, ou qu’un mortel soit bienheureux, ou qu’un immortel soit misérable.

CHAPITRE XIV.
SI LES HOMMES, EN TANT QUE MORTELS, PEUVENT ÊTRE HEUREUX.

C’est une grande question parmi les hommes que celle-ci : l’homme peut-il être mortel et bienheureux ? Quelques-uns, considérant humblement notre condition, ont nié que l’homme fût capable de béatitude tant qu’il est dans les liens de la vie mortelle ; d’autres ont exalté à tel point la nature humaine, qu’ils ont osé dire que les sages, même en cette vie, peuvent posséder le parfait bonheur. Si ces derniers ont raison, pourquoi ne pas dire que les sages sont les vrais intermédiaires entre les mortels misérables et les bienheureux immortels, puisqu’ils partagent avec ceux-là l’existence mortelle et avec ceux-ci la béatitude ? Or, s’ils sont bienheureux, ils ne portent d’envie à personne ; car, quoi de plus misérable que l’envie ? Ils veillent donc sur les misérables mortels, afin de les aider de tout leur pouvoir à acquérir la béatitude et à posséder après la mort une vie immortelle dans la société des anges immortels et bienheureux.

CHAPITRE XV.
DE JÉSUS-CHRIST HOMME, MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES.

S’il est vrai, au contraire, suivant l’opinion la plus plausible et la plus probable, que tous les hommes soient misérables tant qu’ils sont mortels, on doit chercher un médiateur qui ne soit pas seulement homme, mais qui soit aussi Dieu, afin qu’étant tout ensemble mortel et bienheureux, il conduise les hommes de la misère mortelle à la bienheureuse immortalité. Il ne fallait pas que ce médiateur ne fût