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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

à qui il donna l’hospitalité comme à des voyageurs, lui aient prédit l’embrasement de Sodome et la naissance d’un fils[1] ? qu’au moment où Sodome allait être consommée par le feu du ciel, ces mêmes anges aient délivré miraculeusement de cette ruine Loth, son neveu[2] ? que la femme de Loth, ayant eu la curiosité de regarder derrière elle pendant sa fuite, ait été transformée en statue de sel, pour nous apprendre qu’une fois rentrés dans la voie du salut, nous ne devons rien regretter de ce que nous laissons derrière nous ? Mais combien furent plus grands encore les miracles que Dieu accomplit par Moïse pour délivrer son peuple de la captivité, puisqu’il ne fut permis aux mages du Pharaon, c’est-à-dire du roi d’Egypte, de faire quelques prodiges que pour rendre la victoire de Moïse plus glorieuse[3] ! Ils n’opéraient, en effet, que par les charmes et les enchantements de la magie, c’est-à-dire par l’entremise des démons ; aussi furent-ils aisément vaincus par Moïse, qui opérait au nom du Seigneur, créateur du ciel et de la terre, et avec l’assistance des bons anges ; de sorte que les mages se trouvant sans pouvoir à la troisième plaie, Moïse en porta le nombre jusqu’à dix (figures de grands mystères) qui fléchirent enfin le cœur du Pharaon et des Egyptiens et les décidèrent à rendre aux Hébreux la liberté. Ils s’en repentirent aussitôt, et, comme ils poursuivaient les fugitifs, la mer s’ouvrit pour les Hébreux qui la passèrent à pied sec, tandis que les Egyptiens furent tous submergés par le retour des eaux[4]. Que dirai-je de ces autres miracles du désert où éclata la puissance divine ? de ces eaux dont on ne pouvait boire et qui perdirent leur amertume au contact du bois qu’on y jeta par l’ordre de Dieu[5] ; de la manne tombant du ciel pour rassasier ce peuple affamé[6], avec cette circonstance que ce que l’on en ramassait par jour au-delà de la mesure prescrite se corrompait, excepté la veille du sabbat, où la double mesure résistait à la corruption, à cause qu’il n’était pas permis d’en recueillir le jour du sabbat ; du camp Israélite couvert de cailles venues en troupe pour satisfaire ce peuple qui voulait manger de la chair et qui en mangea jusqu’au dégoût[7] ; des ennemis qui s’opposaient au passage de la mer Rouge défaits et taillés en pièces à la prière de Moïse, qui, tenant ses bras étendus en forme de croix, sauva tous les Hébreux jusqu’au dernier[8] ; de la terre entr’ouverte pour engloutir tout vivants des séditieux et des transfuges, et pour les faire servir d’exemple visible d’une peine invisible[9] ; du rocher frappé de la verge et fournissant assez d’eau pour désaltérer une si grande multitude[10] ; du serpent d’airain élevé sur un mât et dont l’aspect guérissait les blessures mortelles que les serpents avaient faites aux Hébreux en punition de leurs péchés[11], afin que la mort fût détruite par la figure de la mort crucifiée ? c’est ce serpent qui, après avoir été conservé longtemps en mémoire d’un événement si merveilleux, fut depuis brisé avec raison par le roi Ezéchias[12], parce que le peuple commençait à l’adorer comme une idole.

CHAPITRE IX.
DES INCERTITUDES DU PLATONICIEN PORPHYRE TOUCHANT LES ARTS ILLICITES ET DÉMONIAQUES.

Ces miracles et beaucoup d’autres qu’il serait trop long de rapporter, avaient pour objet de consolider le culte du vrai Dieu et d’interdire le polythéisme ; ils se faisaient par une foi simple, par une pieuse confiance en Dieu, et non par les charmes et les enchantements de cette curiosité criminelle, de cet art sacrilége qu’ils appellent tantôt magie, tantôt d’un nom plus odieux, goétie[13], ou d’un nom moins décrié, théurgie ; car on voudrait faire une différence entre deux sortes d’opérations, et parmi les partisans des arts illicites déclarés condamnables, ceux qui pratiquent la goétie et que le vulgaire appelle magiciens[14] tandis qu’au contraire ceux qui se bornent à la théurgie seraient dignes d’éloges ; mais la vérité est que les uns et les autres sont entraînés au culte trompeur des démons qu’ils adorent sous le nom d’anges.

  1. Gen. xviii, 10 et 20.
  2. Ibid. xix, 17.
  3. Exod. vii, 11 et seq.
  4. Exod. vii, viii-xii, xiv.
  5. Ibid. xv, 25.
  6. Ibid. xvi, 14.
  7. Num. xi, 31, 32 et 33.
  8. Exod. xvii, 11.
  9. Num. xvi, 32.
  10. Exod. xvii, 6.
  11. Num. xxi, 6-9.
  12. IV Reg. xviii, 4.
  13. La goétie (γοητεία) est, suivant Suidas et Eustathe, cette partie de la magie qui consiste à évoquer les morts à l’aide de certains gémissements (ἀπο τῶν γοῶν) poussés autour de leurs tombeaux.
  14. Saint Augustin se sert du mot maleficus. Et en effet, les magiciens et les astrologues étaient punis par les lois sous le nom de mathematici et de malefici. Voyez le Corpus juris, lib. ix Codicis, tit. 8.