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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/240

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LA CITÉ DE DIEU.

sonnable d’entendre par là la création des anges, ils ont été certainement créés participants de la lumière éternelle, qui est la sagesse immuable de Dieu, par qui toutes choses ont été faites, et que nous appelons son Fils unique ; et s’ils ont été éclairés de cette lumière qui les avait créés, ç’a été pour devenir eux-mêmes lumière et être appelés jour par la participation de cette lumière et de ce jour immuable qui est le Verbe de Dieu, par qui eux et toutes choses ont été créés. La vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde[1] éclaire pareillement tout ange pur, afin qu’il soit lumière, non en soi, mais en Dieu ; aussi tout ange qui s’éloigne de Dieu devient-il impur, comme sont tous ceux qu’on nomme esprits immondes, lorsqu’ils ne sont plus lumière dans le Seigneur, mais ténèbres en eux-mêmes, parce qu’ils sont privés de la participation de la lumière éternelle. En effet, le mal n’est point une substance, mais on a appelé mal la privation du bien[2].

CHAPITRE X.

DE L’IMMUABLE ET INDIVISIBLE TRINITÉ, OU LE PÈRE, LE FILS ET LE SAINT-ESPRIT NE FONT QU’UN SEUL DIEU, EN QUI LA QUALITÉ ET LA SUBSTANCE S’IDENTIFIENT.

Il existe un bien, seul simple, seul immuable, qui est Dieu. Par ce bien, tous les autres biens ont été créés ; mais ils ne sont point simples, et partant ils sont muables. Quand je dis, en effet, qu’ils ont été créés, j’entends qu’ils ont été faits et non pas engendrés[3], attendu que ce qui est engendré du bien simple est simple comme lui, est la même chose que lui. Tel est le rapport de Dieu le Père avec Dieu le Fils, qui tous deux ensemble, avec le Saint-Esprit, ne font qu’un seul Dieu ; et cet Esprit du Père et du Fils est appelé le Saint-Esprit dans l’Ecriture, par appropriation particulière de ce nom. Or, il est autre que le Père et le Fils, parce qu’il n’est ni le Père ni le Fils ; je dis autre, et non autre chose, parce qu’il est, lui aussi, le bien simple, immuable et éternel. Cette Trinité n’est qu’un seul Dieu, qui n’en est pas moins simple pour être une Trinité ; car nous ne faisons pas consister la simplicité du bien en ce qu’il serait dans le Père seulement, ou seulement dans le Fils, ou enfin dans le seul Saint-Esprit[4] ; et nous ne disons pas non plus, comme les Sabelliens, que cette Trinité n’est qu’un nom, qui n’implique aucune subsistance des personnes ; mais nous disons que ce bien est simple, parce qu’il est ce qu’il a, sauf la seule réserve de ce qui appartient à chaque personne de la Trinité relativement aux autres. En effet, le Père a un Fils et n’est pourtant pas Fils, le Fils a un Père sans être Père lui-même. Le bien est donc ce qu’il a, dans tout ce qui le constitue en soi-même, sans rapport à un autre que soi. Ainsi, comme il est vivant en soi-même et sans relation, il est la vie même qu’il a.

La nature de la Trinité est donc appelée une nature simple, par cette raison qu’elle n’a rien qu’elle puisse perdre et qu’elle n’est autre chose que ce qu’elle a. Un vase n’est pas l’eau qu’il contient, ni un corps la couleur qui le colore, ni l’air la lumière ou la chaleur qui l’échauffe ou l’éclaire, ni l’âme la sagesse qui la rend sage. Ces êtres ne sont donc pas simples, puisqu’ils peuvent être privés de ce qu’ils ont, et recevoir d’autres qualités ou habitudes. Il est vrai qu’un corps incorruptible, tel que celui qui est promis aux saints dans la résurrection, ne peut perdre cette qualité ; mais cette qualité n’est pas sa substance même. L’incorruptibilité réside tout entière dans chaque partie du corps, sans être plus grande ou plus petite dans l’une que dans l’autre, une partie n’étant pas plus incorruptible que l’autre, au lieu que le corps même est plus grand dans son tout que dans une de ses parties. Le corps n’est pas partout tout entier, tandis que l’incorruptibilité est tout entière partout ; elle est dans le doigt, par exemple, comme dans le reste de la main, malgré la différence qu’il y a entre l’étendue de toute la main et celle d’un seul doigt. Ainsi, quoique l’incorruptibilité soit inséparable d’un corps incorruptible, elle n’est pas néanmoins

  1. Jean, i, 9.
  2. C’est la théorie de toute l’école platonicienne, formulée avec une précision parfaite par Plotin au livre ii de la 3e Ennéade, ch. 5.
  3. La théologie chrétienne distingue sévèrement deux sortes d’opérations : faire et engendrer. Faire, c’est proprement créer, faire de rien, produire une chose qui auparavant n’existait absolument pas, engendrer, c’est tirer quelque chose de soi-même. Cela posé, il ne faut pas dire que le monde est engendré de Dieu, mais qu’il est créé par lui ; il ne faut pas dire que le Verbe, le Fils, est créé ou fait par le Père, mais qu’il est engendré de lui (genitum, non factum, consubstantialem Patri).
  4. Il s’agit ici de tous les systèmes qui anéantissent l’égalité des personnes. — Nous avons traduit ce passage de saint Augustin autrement que la plupart des interprètes. Suivant eux, il serait uniquement dirigé contre les Sabelliens. Suivant nous, saint Augustin écarte tour à tour la théologie arienne et celle de Sabellius, pour se placer avec l’Eglise à égale distance de l’une et de l’autre.