Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/268

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
LA CITÉ DE DIEU.

ments successifs forment le temps ; et conséquemment, encore qu’ils aient toujours été, ils ne laissent pas d’avoir été créés et ne sont point pour cela coéternels à Dieu. Dieu a toujours été par une éternité immuable, au lieu que les anges n’ont toujours été que parce que le temps n’a pu être sans eux. Or, comme le temps passe par sa mobilité naturelle, il ne peut égaler une éternité immuable. C’est pourquoi, bien que l’immortalité des anges ne s’écoule pas dans le temps, bien qu’elle ne soit ni passée comme si elle n’était plus, ni future comme si elle n’était pas encore, néanmoins leurs mouvements qui composent le temps vont du futur au passé, et partant, ne sont point coéternels à Dieu, qui n’admet ni passé ni futur dans son immuable essence.

De cette manière, si Dieu a toujours été Seigneur, il a toujours eu des créatures qui lui ont été assujéties et qui n’ont pas été engendrées de sa substance, mais qu’il a tirées du néant, et qui, par conséquent, ne lui sont pas coéternelles. Il était avant elles, quoiqu’il n’ait jamais été sans elles, parce qu’il ne les a pas précédées par un intervalle de temps, mais par une éternité fixe. Si je fais cette réponse à ceux qui demandent comment le Créateur a toujours été Seigneur sans avoir toujours eu des créatures pour lui être assujéties, ou comment elles ont été créées, et surtout comment elles ne sont pas coéternelles à Dieu, si elles ont toujours été, je crains qu’on ne m’accuse d’affirmer ce que je ne sais pas, plutôt que d’enseigner ce que je sais. Je reviens donc à ce que notre Créateur a mis à la portée de notre esprit, et, quant aux connaissances qu’il a bien voulu accorder en cette vie à de plus habiles, ou qu’il réserve dans l’autre aux parfaits, j’avoue qu’elles sont au-dessus de mes facultés. J’ai cru par cette raison qu’il valait mieux en de telles matières ne rien assurer, afin que ceux qui liront ceci apprennent à s’abstenir des questions dangereuses, et qu’ils ne se croient pas capables de tout, mais plutôt qu’ils suivent ce précepte salutaire de l’Apôtre : « Je vous avertis tous, par la grâce qui m’a été donnée, de ne pas chercher plus de science qu’il n’en faut avoir ; soyez savants avec sobriété et selon la mesure de la foi que Dieu vous a départie[1] ». Quand on ne donne à un enfant qu’autant de nourriture qu’il en peut porter, il devient capable, à mesure qu’il croît, d’en recevoir davantage ; mais quand on lui en donne trop, au lieu de croître, il meurt.

CHAPITRE XVI.
COMMENT ON DOIT ENTENDRE QUE DIEU A PROMIS À L’HOMME LA VIE ÉTERNELLE AVANT LES TEMPS ÉTERNELS.

Quels sont ces siècles écoulés avant la création du genre humain ? j’avoue que je l’ignore, mais je suis certain du moins que rien de créé n’est coéternel au Créateur. L’Apôtre parle même des temps éternels, non de ceux qui sont à venir, mais, ce qui est plus étonnant, de ceux qui sont passés. Voici comment il s’exprime : « Nous sommes appelés à l’espérance de la vie éternelle, que Dieu, qui ne ment pas, a promise avant les temps éternels[2], et il a manifesté son Verbe aux temps convenables[3] ». C’est dire clairement qu’il y a eu dans le passé des temps éternels, lesquels pourtant ne sont pas coéternels à Dieu. Or, avant ces temps éternels, Dieu non-seulement était, mais il avait promis la vie éternelle qu’il a manifestée depuis aux temps convenables, et cette vie éternelle n’est autre chose que son Verbe. Maintenant, en quel sens faut-il entendre cette promesse faite avant les temps éternels à des hommes qui n’étaient pas encore ? c’est sans doute que ce qui devait arriver en son temps était déjà arrêté dans l’éternité de Dieu et dans son Verbe qui lui est coéternel.

CHAPITRE XVII.
DE CE QUE LA FOI NOUS ORDONNE DE CROIRE TOUCHANT LA VOLONTÉ IMMUABLE DE DIEU, CONTRE LES PHILOSOPHES QUI VEULENT QUE DIEU RECOMMENCE ÉTERNELLEMENT SES OUVRAGES ET REPRODUISE LES MÊMES ÊTRES DANS UN CERCLE QUI REVIENT TOUJOURS.

Une autre chose dont je ne doute nullement, c’est qu’il n’y avait jamais eu d’homme avant la création du premier homme, et que ce n’est pas le même homme, ni un autre semblable, qui a été reproduit je ne sais com-

  1. Rom. XII, 3.
  2. Il est bon de remarquer ici que saint Augustin suit la version de saint Jérôme (tempora œterna) de préférence à la Vulgate (tempora sœcularia). Voyez, sur ce point de l’Épître à Tite, la remarque de saint Jérôme et le livre de saint Augustin Contra Priscil., n. 6.
  3. Tit. I, 2, 3.