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LA CITÉ DE DIEU.

la volonté de Dieu prévient l’âme pour le bien, soit pour la créer quand elle n’est pas encore, soif pour la recréer après qu’elle a failli, alors, dis-je, qu’on n’entendrait que cette seule mort, et que ces paroles de Dieu : « Du jour que vous en mangerez, vous mourrez de mort », seraient prises comme s’il disait : Du jour que vous m’abandonnerez par désobéissance, je vous abandonnerai par justice ; il n’en est pas moins certain que cette mort comprenait en soi toutes les autres, qui en étaient une suite inévitable. Déjà ce mouvement de rébellion qui s’éleva dans la chair contre l’âme devenue rebelle et qui obligea nos premiers parents à couvrir leur nudité, leur fit sentir l’effet de cette mort qui arrive quand Dieu abandonne l’âme. Elle est marquée expressément dans ces paroles que Dieu adresse au premier homme qui se cachait tout éperdu : « Adam, où es-tu ? » Car il ne le cherchait pas comme s’il eût ignoré où il était, mais il lui faisait sentir que l’homme ne sait plus où il est quand Dieu n’est plus avec lui plus tard, lorsque l’âme de nos premiers parents abandonna leurs corps épuisés de vieillesse, ils éprouvèrent cette autre mort, nouveau châtiment du péché de l’homme, qui avait fait dire à Dieu : « Vous êtes terre, et vous « retournerez en terre » ; afin que ces deux morts accomplissent ensemble la première qui est celle de l’homme entier, et qui est à la fin suivie de la seconde, si la grâce de Dieu ne nous en délivre. En effet, le corps qui est de terre ne retournerait point en terre, si l’âme qui est sa vie ne le quittait ; et c’est pour cela que les chrétiens, sincèrement attachés à la foi catholique, croient fermement que la mort même du corps ne vient point de la nature, mais qu’elle est une peine du péché et un effet de cette parole que Dieu, châtiant le péché, dit au premier homme en qui nous étions tous alors : « Tu es terre, et tu retourneras en terre ».


CHAPITRE XVII.

contre les platoniciens, qui ne veulent pas que la séparation du corps et de l’aime soit une peine du péché.

Les philosophes contre qui nous avons entrepris de défendre la Cité de Dieu, c’est-à-dire son Eglise, pensent être bien sages quand ils se moquent de nous au sujet de la séparation de l’âme et du corps, que nous considérons comme un des châtiments de l’âme ; car à leurs yeux l’âme n’atteint la parfaite béatitude que lorsque entièrement dépouillée du corps, elle retourne à Dieu dans sa simplicité, dans son indépendance et comme dans sa nudité primitive. Ici peut-être, si je ne trouvais dans leurs propres livres de quoi les réfuter, je serais obligé d’entrer dans une longue discussion pour montrer que le corps n’est à charge à l’âme que parce qu’il est corruptible. De là ce mot de l’Ecriture, déjà rappelé au livre précédent : « Le corps corruptible appesantit l’âme ». L’Ecriture dit corruptible, pour faire voir que ce n’est pas le corps en soi qui appesantit l’âme, mais le corps dans l’état où il est tombé par le péché ; et elle ne le dirait pas que nous devrions l’entendre ainsi. Mais quand Platon déclare en termes formels que les dieux inférieurs créés par le Dieu souverain ont des corps immortels, quand il introduit ce même Dieu promettant à ses ministres comme une grande faveur qu’ils demeureront éternellement unis à leur corps, sans qu’aucune mort les en sépare, comment se fait-il que nos adversaires, dans leur zèle contre la foi chrétienne, feignent de ne pas savoir ce qu’ils savent, et s’exposent à parler contre leurs propres sentiments, pour le plaisir de nous contredire ? Voici, en effet (d’après Cicéron, qui les traduit), les propres paroles que Platon prête au Dieu souverain s’adressant aux dieux créés : « Dieux, fils de dieux, considérez de quels ouvrages je suis l’auteur et le père. Ils sont indissolubles, parce que je le veux ; car tout ce qui est composé peut se dissoudre ; mais il est d’un méchant de vouloir séparer ce que la raison a uni. Ainsi, ayant commencé d’être, vous ne sauriez être immortels, ni absolument indissolubles ; niais vous ne serez jamais dissous et vous ne connaîtrez aucune sorte de mort, parce que la mort ne peut rien contre ma volonté, laquelle est un lien plus fort et plus puissant que ceux dont vous fûtes unis