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LA CITÉ DE DIEU.

corps, et de dire de l’autre que les âmes des dieux sont bienheureuses quoique éternellement unies à des corps, celle même de Jupiter qui pour eux est le monde, étant liée à tout les éléments qui composent cette sphère immense de la terre aux cieux. Platon veut que cette âme s’étende, selon des lois musicales, depuis le centre de la terre jusqu’aux extrémités du ciel, et que le monde soit un grand et heureux animal dont l’âme parfaitement sage ne doit jamais être séparée de son corps, sans toutefois que cette masse composée de tant d’éléments divers puisse la retarder, ni l’appesantir. Voilà les libertés que les philosophes laissent prendre à leur imagination, et en même temps ils ne veulent pas croire que des corps terrestres puissent devenir immortels par la puissance de la volonté de Dieu, et que les âmes y puissent vivre éternellement bienheureuses sans en être appesanties, comme font cependant leurs dieux dans des corps de feu, et Jupiter même, le roi des dieux, dans la masse de tous ces éléments ? S’il faut qu’une âme, pour être heureuse, fuie toutes sortes de corps, que leurs dieux abandonnent donc les globes célestes ; que Jupiter quitte le ciel et la terre ; ou s’il ne peut s’en séparer, qu’il soit réputé misérable. Mais nos philosophes reculent devant cette alternative : ils n’osent point dire que leurs dieux quittent leur corps, de peur de paraître adorer des divinités mortelles ; et ils ne veulent pas les priver de la félicité, de crainte d’avouer que des dieux sont misérables. Concluons qu’il n’est pas nécessaire pour être heureux de fuir toutes sortes de corps, mais seulement ceux qui sont corruptibles, pesants, incommodes et moribonds, non tels que la bonté de Dieu les donna aux premiers hommes, mais tels qu’ils sont devenus en punition du péché.


CHAPITRE XVIII.

des corps terrestres que les philosophes prétendent ne pouvoir convenir aux êtres célestes par cette raison que tout ce qui est terrestre est appelé vers la terre par la force naturelle de la pesanteur.

Mais il est nécessaire, disent-ils, que le poids naturel des corps terrestres les fixe sur la terre ou les y appelle, et ainsi ils ne peuvent être dans le ciel. Il est vrai que les premiers hommes étaient sur la terre, dans cette région fertile et délicieuse qu’on a nommée le paradis ; mais que nos adversaires considèrent d’un œil plus attentif la nature de la pesanteur ; cela est important pour résoudre plusieurs questions, notamment celle du corps avec lequel Jésus-Christ est monté au ciel, et celle aussi des corps qu’auront les saints au moment de la résurrection. Je dis donc que si les hommes parviennent par leur adresse à faire soutenir sur l’eau certains vases composés des métaux les plus lourds, il est infiniment plus simple et plus croyable que Dieu, par des ressorts qui nous sont inconnus, puisse empêcher les corps pesants de tomber sur la terre, lui qui, selon Platon, fait, quand il le veut, que les choses qui ont un commencement n’aient point de fin, et que celles qui sont composées de plusieurs parties ne soient point dissoutes ? or, l’union des esprits avec les corps est mille fois plus merveilleuse que celle des corps les uns avec les autres. N’est-ce pas aussi une chose aisée à comprendre que des esprits parfaitement heureux meuvent leurs corps sans peine où il leur plaît, corps terrestres à la vérité, mais incorruptibles ? Les anges n’ont-ils pas le pouvoir d’enlever sans difficulté les animaux terrestres d’où bon leur semble, et de les placer où il leur convient ? Pourquoi donc ne croirions-nous pas que les âmes des bienheureux pourront porter ou arrêter leurs corps à leur gré ? Le poids des corps est d’ordinaire en raison de leur masse, et plus il y a de matière, plus la pesanteur est grande ; cependant l’âme porte plus légèrement son corps quand il est sain et robuste que quand il est maigre et malade, bien qu’il reste plus lourd à porter pour autrui dans son embonpoint que dans sa langueur ; d’où il faut conclure que, dans les corps même mortels et corruptibles, l’équilibre et l’harmonie des parties font plus que la masse et le poids.