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LIVRE XXII. — BONHEUR DES SAINTS.

époques de civilisation de plus en plus avancée, eût-on rejeté bien loin la résurrection de Jésus-Christ en sa chair et son ascension au ciel comme choses absolument impossibles ! Il a fallu, pour ouvrir l’oreille et le cœur des hommes à cette croyance, que la vérité divine ou la divinité véritable et une infinité de miracles eussent déjà démontré que de tels miracles pouvaient se faire et s’étaient effectivement accomplis. Voilà pourquoi, malgré tant de cruelles persécutions, on a cru et prêché hautement la résurrection et l’immortalité de la chair, lesquelles ont d’abord paru en Jésus-Christ pour se réaliser un jour en tous les hommes ; voilà pourquoi cette croyance a été semée par toute la terre pour croître et se développer de plus en plus par le sang fécond des martyrs ; car l’autorité des miracles venant confirmer l’autorité des prophéties, la vérité a pénétré enfin dans les esprits, et l’on a vu qu’elle était plutôt contraire à la coutume qu’à la raison, jusqu’au jour où le monde entier a embrassé par la foi ce qu’il persécutait dans sa fureur.


CHAPITRE VIII.

des miracles qui ont été faits pour que le monde crût en jésus-christ et qui n’ont pas cessé depuis qu’il y croit.

Pourquoi, nous dit-on, ces miracles qui, selon vous, se faisaient autrefois, ne se font-ils plus aujourd’hui ? Je pourrais répondre que les miracles étaient nécessaires avant que le monde crût, pour le porter à croire, tandis qu’aujourd’hui quiconque demande encore des miracles pour croire est lui-même un grand miracle de ne pas croire ce que toute la terre croit ; mais ils ne parlent ainsi que pour faire douter de la réalité des miracles. Or, d’où vient qu’on publie si hautement partout que Jésus-Christ est monté au ciel avec son corps ? d’où vient qu’en des siècles éclairés, où l’on rejetait tout ce qui paraissait impossible, le monde a cru sans miracles des choses tout à fait incroyables ? Aiment-ils mieux dire qu’elles étaient incroyables, et que c’est pour cela qu’on les a crues ? Que ne les croient-ils donc eux-mêmes ? Voici donc à quoi se réduit tout notre raisonnement : ou bien des choses incroyables que tout le monde voyait ont persuadé une chose incroyable que tout le monde ne voyait pas ; ou bien cette chose était tellement croyable qu’elle n’avait pas besoin de miracles pour être crue, et, dans ce dernier cas, où trouver une opiniâtreté plus extrême que celle de nos adversaires ? Voilà ce qu’on peut répondre aux plus obstinés. Que plusieurs miracles aient été opérés pour assurer ce grand et salutaire miracle par lequel Jésus-Christ est ressuscité et monté au ciel avec son corps, c’est ce que l’on ne peut nier. En effet, ils sont consignés dans les livres sacrés qui déposent tout ensemble et de la réalité de ces miracles et de la foi qu’ils devaient fonder. La renommée de ces miracles s’est répandue pour donner la foi, et la foi qu’ils leur ont donnée ajoute à leur renommée un nouvel éclat. On les lit aux peuples afin qu’ils croient, et néanmoins on ne les leur lirait pas, si déjà ils n’avaient été crus. Car il se fait encore des miracles au nom de Jésus-Christ, soit par les sacrements, soit par les prières et les reliques des saints, mais ils ne sont pas aussi célèbres que les premiers. Le canon des saintes Lettres, qui devait être fixé par l’Église, fait connaître ces premiers miracles en tous lieux et les confie à la mémoire des peuples. Au contraire, ceux-ci ne sont connus qu’aux lieux où ils se passent, et souvent à peine le sont-ils d’une ville entière, surtout quand elle est grande, ou d’un voisinage restreint. Ajoutez enfin que l’autorité de ceux qui les rapportent, tout fidèles qu’ils sont et s’adressant à des fidèles, n’est pas assez considérable pour ne laisser aucun doute aux bons esprits.

Le miracle qui eut lieu à Milan (j’y étais alors), quand un aveugle recouvra la vue, a pu être connu de plusieurs ; en effet, la ville est grande, l’empereur était présent, et ce miracle s’opéra à la vue d’un peuple immense accouru de tous côtés pour voir les corps des saints martyrs Gervais et Protais, qui avaient été découverts en songe à l’évêque Ambroise. Or, par la vertu de ces reliques, l’aveugle sentit se dissiper les ténèbres de ses yeux et recouvra la vue[1].

Mais qui, à l’exception d’un petit nombre, a entendu parler à Carthage de la guérison miraculeuse d’Innocentius, autrefois avocat de la préfecture, guérison que j’ai vue de mes propres yeux ? C’était un homme très-pieux,

  1. Saint Augustin raconte ce même miracle avec plus de détails au premier livre des Confessions (ch. 13, n. 7) ; il le rappelle en son Sermon cccxviii, n.1, et dans ses Rétractations (livre i, ch. 13, n. 7). Comparez saint Ambroise (Epist. lxxxv, et Serm. xci) et Sidoine Apollinaire (lib. vii, epist. 1).