pre main[1] ; et c’est encore ainsi que Marcellus, sur le point de détruire Syracuse, au souvenir de la splendeur où cette ville était parvenue avant de tomber sous ses coups, laissa couler des larmes de compassion. À mon tour, je demande au nom de l’humanité qu’on ne fasse point un crime à une femme d’avoir pleuré son mari, tué par son frère, alors que d’autres ont mérité des éloges pour avoir pleuré leurs ennemis par eux-mêmes vaincus. Dans le temps que cette fille pleurait la mort de son fiancé, que son frère avait tué, Rome se réjouissait d’avoir combattu avec tant de rage contre la cité sa mère, au prix de torrents de sang répandus de part et d’autre par des mains parricides.
À quoi bon m’alléguer ces beaux noms de gloire et de triomphe ? Il faut écarter ces vains préjugés, il faut regarder, peser, juger ces actions en elles-mêmes. Qu’on nous cite le crime d’Albe comme on nous parle de l’adultère de Troie, on ne trouvera rien de pareil, rien d’approchant. Si Albe est attaquée, c’est uniquement parce que
« Tullus veut réveiller les courages endormis des bataillons romains, qui se désaccoutumaient de la victoire[2] ».
Cependant ces dieux tutélaires de l’empire romain, spectateurs de théâtre à ces sanglants combats, n’étaient pas complètement satisfaits ; et ils ne furent contents que lorsque la sœur des Horaces, tuée par son frère, fut allée rejoindre les trois Curiaces, afin sans doute que Rome victorieuse n’eût pas moins de morts qu’Albe vaincue. Quelque temps après, pour fruit de cette victoire, Albe fut ruinée, Albe, où ces dieux avaient trouvé leur troisième asile depuis qu’ils étaient sortis de Troie ruinée par les Grecs, et de Lavinium, où le roi Latinus avait reçu Énée étranger et fugitif. Mais peut-être étaient-ils sortis d’Albe, suivant leur coutume, et voilà sans doute pourquoi Albe succomba. Vous verrez qu’il faudra dire encore :
« Tous les dieux protecteurs de cet empire se sont retirés, abandonnant leurs temples et leurs autels[5] ».
Vous verrez qu’ils ont quitté leur séjour pour la troisième fois, afin qu’une quatrième Rome fût très-sagement confiée à leur protection. Albe leur avait déplu, à ce qu’il paraît, parce qu’Amulius, pour s’emparer du trône, avait chassé son frère, et Rome ne leur déplaisait pas, quoique Romulus eût tué le sien. Mais, dit-on, avant de ruiner Albe, on