quand il mûrit ; Runcina, quand on le coupe[1]. Je ne dis pas tout, car je me lasse de nommer ce qu’ils n’ont pas honte d’adorer ; mais le peu que j’en ai dit suffit pour montrer qu’il est déraisonnable d’attribuer l’origine, les progrès et la conservation de l’empire romain à des divinités tellement appliquées à leur office particulier qu’aucune tâche générale ne pouvait leur être confiée. Comment Segetia se fût-elle mêlée du gouvernement de l’empire, elle à qui il n’était pas permis d’avoir soin à la fois des arbres et des moissons ? comment Cunina eût-elle pensé à la guerre, lorsque sa charge ne s’étendait pas au-delà du berceau des enfants ? que pouvait-on attendre de Nodatus dans les combats, puisque son pouvoir, borné aux nœuds du tuyau, ne s’élevait pas jusqu’à la barbe de l’épi ? On se contente d’un portier pour garder l’entrée de sa maison, et ce portier suffit parfaitement, c’est un homme ; nos idolâtres y ont mis trois dieux : Forculus, à la porte ; Cardea, aux gonds ; Limentinus, au seuil ; en sorte que Forculus ne pouvait garder à la fois le seuil et les gonds[2].
Mais laissons là, pour quelque temps du moins, la foule des petits dieux et cherchons quel a été le rôle de ces grandes divinités par qui Rome est devenue la dominatrice des nations. Voilà sans doute une œuvre digne de Jupiter, de ce dieu qui passe pour le roi de tous les dieux et de toutes les déesses, ainsi que le marquent et le sceptre dont il est armé, et ce Capitole construit en son honneur au sommet d’une haute colline.
« Tout est plein de Jupiter[3] »
Pourquoi avoir marié Jupiter avec Junon qu’on nous donne pour être à la fois « et sa sœur et sa femme[5]? » C’est, dit-on, que Jupiter occupe l’éther, Junon, l’air, et que ces deux éléments, l’un supérieur, l’autre inférieur, sont étroitement unis. Mais alors, si Junon remplit la moitié du monde, elle ôte de sa place à ce dieu dont le poëte a dit :
« Tout est plein de Jupiter ».
Dira-t-on que les deux divinités remplissent l’une et l’autre les deux éléments et qu’elles sont ensemble chacun d’eux ? Je demanderai pourquoi l’on assigne particulièrement l’éther à Jupiter et l’air à Junon ? D’ailleurs, s’il suffit de ces deux divinités pour tout remplir, à quoi sert d’avoir donné la mer à Neptune et la terre à Pluton ? Et qui plus est, de peur de laisser ces dieux sans femmes, on a marié Neptune avec Salacie et Pluton avec Proserpine. C’est, dit-on, que Proserpine occupe la région inférieure de la terre, comme Salacie la région inférieure de la mer, et Junon la région inférieure du ciel, qui est l’air. Voilà comment les païens essaient de coudre leurs fables ; mais ils n’y parviennent pas. Car si les choses étaient comme ils le disent, leurs anciens sages admettraient trois éléments et non pas quatre, afin d’en accorder le nombre avec celui des couples divins. Or, ils distinguent positivement l’éther d’avec l’air. Quant à l’eau, supposé que l’eau supérieure diffère en quelque façon de l’eau inférieure, en haut ou en bas, c’est toujours de l’eau. De même pour la terre ; la différence du lieu peut bien changer ses qualités, mais non sa nature. Maintenant, avec ces trois ou ces quatre éléments, voilà le
- ↑ Proserpina de proserpere, germer ; Volutina de involumentum, enveloppe ; Hostilina (suivant saint Augustin) de hostire pour æquare, égaler, être de niveau ; Runcina de runcare, runcinare, sarcler.
- ↑ Forculus de foris, porte ; Cardea de cardo, gond ; Limentinus de limen, seuil.
- ↑ Virgile, Eclog., iii, vers 60.
- ↑ Varron voulait-il parler du Jéhovah des Juifs ? c’est ce qui semble résulter de divers autres passages de saint Augustin. Voyez plus bas, ch. 31, et le traité De cons. Evangel., lib. i, n. 30.
- ↑ Virgile, Énéide, livre i, vers 47.