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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIV.djvu/68

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DES DEUX ÂMES.

CHAPITRE VII.
EN QUOI LES MÉCHANTS SONT L’ŒUVRE DE DIEU.

Peut-être m’objectera-t-on ces paroles de l’Évangile : « Vous n’écoutez pas ma voix, parce que vous n’êtes pas de Dieu ; vous avez pour père le démon[1] ». Et moi j’opposerai ces autres paroles : « Tout a été fait par lui et rien n’a été fait sans lui[2] » ; et ces autres de saint Paul : « Il n’y a qu’un seul Dieu de qui tout découle, et un seul Seigneur Jésus-Christ par qui fout a été fait[3] » ; ou bien encore : » Croire à Celui de qui tout vient, par qui tout a été fait, en qui tout existe[4] ». Puis je conseillerai à mes adversaires, si toutefois j’en rencontrais, de suspendre tout jugement présomptif sur ces passages, et de s’adresser à des docteurs en les priant de nous montrer l’accord qui existe entre ces textes qui nous paraissent se contredire. En effet, c’est dans la même Écriture que nous lisons : « Tout vient de Dieu[5] » ; et ailleurs : « Vous n’êtes pas de Dieu ». Condamner les Livres saints serait un crime et une témérité ; n’est-il pas plus sage de s’adresser à un docteur habile qui nous donnera la solution de cette difficulté ? Qu’il soit bon interprète, et, comme parle l’Écriture, un homme spirituel[6], nécessairement il appuiera tous les raisonnemens que j’ai faits sur la nature intelligible et sensible, il les développera même beaucoup mieux que moi et en fera mieux ressortir l’évidence. Et savez-vous quelle serait sa conclusion ? C’est que toutes les âmes sont de Dieu, ce qui n’empêche pas que l’on ait pu dire en toute justice aux pécheurs et aux infidèles : « Vous n’êtes pas de Dieu ». Nous-mêmes, avec le secours de Dieu, nous pourrions facilement comprendre qu’autre chose est de vivre, autre chose de pécher. J’admets qu’en comparaison de la vie du juste, celle du pécheur soit appelée la mort[7] ; cependant il n’est que trop vrai qu’un homme peut être en même temps et vivant et pécheur : comme vivant, il est de Dieu, mais comme pécheur il n’est pas de Dieu. Ces deux choses sont parfaitement distinctes ; quand donc nous voulons exalter la toute-puissance du Dieu créateur, nous pouvons dire aux pécheurs qu’ils sont de Dieu. Nous le leur disons en tant qu’ils sont des êtres animés, raisonnables et surtout en tant qu’ils ont la vie ; toutes ces qualités sont évidemment et par elles-mêmes des dons du ciel. Quand, au contraire, nous nous adressons aux méchants, comme tels, c’est en toute vérité que nous leur disons : « Vous n’êtes pas de Dieu ». Nous le disons à ceux qui repoussent la vérité, aux infidèles, aux impudiques, aux criminels, en un mot, aux pécheurs : n’est-il pas certain que tous ces crimes n’ont pas Dieu pour auteur ? Pourquoi, dès lors, nous étonner que Jésus-Christ s’adressant aux pécheurs, en tant qu’ils sont pécheurs et qu’ils ne croient pas, leur dise : « Vous n’êtes pas de Dieu » ; et cela, sans porter aucune atteinte à la véracité de cette autre parole : « Tout a été fait par lui ; tout vient de Dieu ? » Ne pas croire en Jésus-Christ, repousser sa venue, ne pas le recevoir, si c’était là le caractère de toutes les âmes qui ne sont pas créées par Dieu, en sorte qu’on doive prendre à la lettre cette parole : « Vous n’écoutez pas ma voix, parce que vous n’êtes pas de Dieu », comment serait vraie cette parole de saint Jean au début remarquable de son Évangile : « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu[8] ? » Comment étaient-ils siens s’ils ne l’ont pas reçu ; comment dire qu’ils n’étaient pas siens, parce qu’ils ne l’ont pas reçu ; n’est-ce pas parce que les pécheurs, en tant qu’ils sont hommes, appartiennent à Dieu et en tant que pécheurs au démon ? II avait donc en vue leur nature même, celui qui a dit : « Les siens ne l’ont pas reçu », tandis que Jésus-Christ ne parlait que de leur mauvaise volonté quand il leur disait : « Vous n’êtes pas de Dieu ». L’Évangéliste exaltait les œuvres de Dieu et Jésus-Christ reprochait aux hommes leurs péchés.

CHAPITRE VIII.
ORIGINE DU MAL.

10. On me demandera peut-être : D’où vient le péché ? et d’une manière plus générale : D’où vient le mal ? Si le mal vient de l’homme, d’où vient l’homme ? S’il vient de l’ange, d’où vient l’ange ? C’est de Dieu, nous dit-on, et en cela on dit la vérité ; cependant cela ne suffit pas pour empêcher les ignorants et les esprits faibles de croire que les maux et les péchés sont liés à Dieu comme par une sorte de chaîne. C’est sur cette question que les Manichéens se croient invincibles, comme s’il suffisait d’interroger pour savoir ? Oh ! s’il

  1. Jean, viii, 47, 41.
  2. id. i, 3.
  3. I Cor. viii, 6.
  4. Rom. xi, 36.
  5. I Cor. xi, 12.
  6. id. ii, 15.
  7. Tim. v, 6.
  8. Jean, i, II.