Page:Augustin Crampon - Les quatre Evangiles, Tolra et Haton, 1864.djvu/48

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Évangile le nom de Matthieu le publicain[1] ?

Les mêmes témoins de la tradition ajoutent que saint Matthieu, ayant la pensée d’annoncer la bonne nouvelle à des nations étrangères, voulut, avant de quitter les Juifs, ses compatriotes, qu’il avait convertis, rédiger pour eux son Évangile, et suppléer ainsi, autant que possible, à son absence[2]. Or, toutes ces données sont merveilleusement d’accord avec la forme même du livre.

Ainsi, par exemple, sa destination première aux chrétiens de la Palestine nés dans le judaïsme ressort de cette circonstance, qu’on n’y trouve aucune explication ni des usages, comme dans saint Marc, ni des lieux, comme dans saint Luc et saint Jean ; c’est donc un livre écrit dans le pays et pour les gens du pays, qui connaissent les lieux et les usages. Ensuite, quel

  1. L’hypothèse que l’Évangile de S. Matthieu se réduisait, à l’origine, à un recueil de sentences, sans aucune relation des faits, ne soutient pas l’examen. Inconnue à toute l’antiquité, elle est aujourd’hui à peu près abandonnée, même en Allemagne où elle a pris naissance. Elle n’avait d’autre appui qu’une expression de Papias, qui, parlant du premier Évangile, se sert du mot grec logia, proprement oracles ou sentences. Mais il n’a pas été difficile de montrer que ce terme n’exclut nullement la relation des faits : 1o les Pères du iie et du iiie siècle, S. Irénée (Adv. Hæres. proœmium), Clément d’Alexandrie (Stomat., ii) et Origène (in Matth., v, 19) appellent également les Évangiles les logia du Seigneur, alors que, de l’aveu de tous, la partie narrative n’était plus absente. 2o Papias lui-même, mentionnant un peu plus loin l’Évangile de S. Marc, qui, certes, comprenait des récits et des discours, n’en désigne pas moins les uns et les autres, comme pour S. Matthieu, par ce terme unique : ensemble des discours du Seigneur, preuve évidente que les expressions de Papias n’ont pas le sens restreint qu’on a imaginé de leur donner, contrairement à la tradition unanime de l’antiquité. 3o Enfin, ne répugne-t-il pas au bon sens que S. Matthieu, témoin des miracles du Sauveur, au lieu d’en mêler le récit aux discours pour donner à ceux-ci toute leur force, ait négligé ce moyen puissant de persuasion et fait une œuvre informe, sans liaison et sans efficacité pour la conversion des Juifs auxquels il s’adressait ?
  2. Irén. l. c. — Eusèb., Hist. eccl., iii, 24 ; vi, 25, etc.