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Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/32

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L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

efficace, par un exemple vivant, à républicaniser les sentiments des Français.

Si les Français montrèrent tant d’enthousiasme pour la guerre de l’indépendance américaine, ce fut assurément par haine de l’Angleterre, mais aussi par haine du despotisme en général. La cause des « insurgents » semblait être celle du genre humain, celle de la liberté. Sans doute, les colons anglais ne combattaient que pour leur indépendance, mais c’est avec un roi qu’ils rompaient, pour s’organiser républicainement. Et ils ne voulaient plus de roi, et ils lançaient l’anathème à la royauté. Les hardiesses du pamphlet républicain de Thomas Paine, le Sens Commun, eurent du retentissement en France[1]. Franklin, dans une lettre de mai 1777, nota en ces termes l’intérêt passionné que les affaires d’Amérique inspiraient aux Français : « Toute l’Europe est de notre côté ; nous avons du moins tous les applaudissements et tous les vœux. Ceux qui vivent sous un pouvoir arbitraire n’en aiment pas moins la liberté, et font des vœux pour elle. Ils désespèrent de la conquérir en Europe ; ils lisent avec enthousiasme les constitutions de nos colonies devenues libres… C’est ici un commun dicton que notre cause est la cause du genre humain et que nous combattons pour la liberté de l’Europe en combattant pour la nôtre[2]. » Le nombre des éditions françaises des diverses constitutions américaines atteste la vérité de ce que dit Franklin. La guerre d’Amérique inspire aux Français une quantité de récits, d’histoires, de voyages, d’estampes[3]. On aime et on admire ces républicains graves et raisonnables, dont Franklin est le type. L’Amérique républicaine est à la mode, autant et plus que la monarchiste Angleterre[4].

Et ce n’est pas un engouement passager : c’est une influence profonde et durable. La Révolution française, si différente, à quelques égards, de la Révolution américaine, sera hantée par le souvenir de cette révolution : on n’oubliera pas en France qu’il y avait eu en Amérique des Déclarations des droits, des Conventions nationales, des

  1. Cependant, ce n’étaient pas des hardiesses à la française. C’est autant au nom de la Bible qu’au nom de la raison que Thomas Paine attaque l’institution de la royauté, qu’il trouve révoltante, contraire à l’égalité naturelle. La transition des arguments de bon sens aux arguments mystiques est marquée par cette phrase, qui caractérise bien l’esprit et le style du livre : « Comme il est impossible de justifier, d’après le droit naturel, dont l’égalité est la base, l’élévation d’un homme si fort au-dessus des autres hommes, il ne l’est pas moins de la défendre par l’autorité de l’Écriture. Car la volonté du Tout-Puissant, déclarée par l’organe du prophète Samuel et de Gédéon, est expressément contraire au gouvernement des rois. » Suivent de nombreuses citations de la Bible. — Common sense, éd. de Londres, 1776, in-8. (Bibl. nat., Pb 200.)
  2. Correspondance de Franklin, trad. Laboulaye, t. III, p. 365.
  3. On en trouvera la liste à la Bibliothèque nationale, dans le catalogue de la série Pb.
  4. Chateaubriand a dit : « Le suprême bon ton était d’être Américain à la ville, Anglais à la cour, Prussien à l’armée… » (Mémoires d’outre-tombe, éd. Biré, t. I, p. 232.)