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BOURGEOISIE ET DÉMOCRATIE

été créé par la force, mais par la volonté de la nation », que les Français « ont toujours senti qu’ils avaient besoin d’un roi », et, dans l’article 2 de « l’ordre de travail qui suivait ce rapport du 9 juillet, il était dit que le gouvernement monarchique « convient surtout à une grande société ».

Le débat qui s’engagea aussitôt ne porta nullement sur le principe monarchique, mais sur les applications de ce principe. L’abbé d’Eymar, on l’a vu[1], demanda (sans succès) que le premier article eut pour objet de déclarer dominante la religion catholique. Démeunier voulait qu’on dît : « La France est une monarchie tempérée par des lois. » Malouet, plus hardi que les autres, proposait comme première phrase : « La volonté générale de la nation française est que son gouvernement soit monarchique. » Selon lui, le pouvoir royal, émané de la nation, devait être subordonné à la nation. Adrien du Port aurait désiré qu’on parlât d’abord des droits de la nation, et Wimpffen, qu’on déclarât « que le gouvernement de la France est une démocratie royale[2] ». Robespierre n’intervint que pour proposer « des règles pour une discussion libre, paisible et aussi étendue que les différents points de la constitution pouvaient l’exiger[3] ».

On s’aperçut que l’on n’était pas d’accord sur la définition de la monarchie ; on pensa qu’avant de la définir il fallait l’organiser, et, ajournant l’article premier, on fixa les traits essentiels de cette organisation, les droits respectifs de la nation et du roi (troisième rapport de Mounier, du 31 août). On régla successivement les questions du veto, de la permanence de l’Assemblée, de l’unité du pouvoir législatif (une seule chambre), de l’inviolabilité royale, du mode d’hérédité de la couronne, et enfin, le 22 septembre 1789, revenant à l’article premier, on vota que « le gouvernement français est monarchique ».

Les amateurs de coïncidences remarqueront peut-être que la monarchie fut consacrée trois ans, jour pour jour, avant l’établissement de la République. Il est plus important de constater que ce vote fut enregistré sans commentaire, sans étonnement ou réclamation quelconque, par toutes les gazettes qui le mentionnèrent, par celles de Brissot, de Gorsas, de Barère, de Marat[4].

Voilà donc la monarchie consacrée par l’Assemblée constituante, et la République écartée, sans même qu’on lui eût fait l’honneur d’un débat.

L’inviolabilité de la personne royale avait été votée (15 et 16 septembre) par acclamation, à l’unanimité, et Marat n’avait critiqué, et

  1. Voir plus haut, p. 44.
  2. Courrier de Provence, n°XXXIV. Cf. Patriote français, n° XXX, et Point du Jour, t.II, p. 236.
  3. Point du Jour, t. II, p. 237.
  4. Voir le Patriote français, n° LII ; Gorsas, p. 417 ; Barère, t. III, p. 76 ; Marat, n° XIII, p. 117.