Page:Aulnoy - Contes de Madame d'Aulnoy, 1882.djvu/100

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
LA CHATTE BLANCHE.

sage de vouloir faire un tel présent à son père ; là-dessus, chacun prit le chemin de la ville.

Les princes aînés montèrent avec leurs princesses dans des calèches toutes d’or et d’azur ; leurs chevaux avaient sur leur tête des plumes et des aigrettes ; rien n’était plus brillant que cette cavalcade. Notre jeune prince allait après, et puis le rocher de cristal, que tout le monde regardait avec admiration.

Les courtisans s’empressèrent de venir dire au roi que les trois princes arrivaient. « Amènent-ils de belles dames ? répliqua le roi. — Il est impossible de rien voir qui les surpasse. » À cette réponse, il parut fâché. Les deux princes s’empressèrent de monter avec leurs merveilleuses princesses. Le roi les reçut très bien, et ne savait à laquelle donner le prix : il regarda son cadet, et lui dit : « Cette fois-ci, vous venez donc seul ? — Votre Majesté verra dans ce rocher une petite chatte blanche, répliqua le prince, qui miaule si doucement et qui fait si bien patte de velours, qu’elle lui agréera. » Le roi sourit et s’avança lui-même pour ouvrir le rocher ; mais aussitôt qu’il s’approcha, la reine, avec un ressort, en fit tomber toutes les pièces, et parut comme le soleil qui a été quelque temps enveloppé dans une nue ; ses cheveux blonds étaient épars sur ses épaules, ils tombaient par grosses boucles jusqu’à ses pieds ; sa tête était ceinte d’une couronne magnifique, sa robe d’une légère gaze blanche, doublée de taffetas couleur de rose. Elle se leva, et fit une profonde révérence au roi qui ne put s’empêcher, dans l’excès de son admiration, de s’écrier : « Voici l’incomparable et celle qui mérite ma couronne ! — Seigneur, lui dit-elle, je ne suis pas venue pour vous arracher un trône que vous remplissez si dignement ; je suis née avec six royaumes : permettez que je vous en offre un, et que j’en donne autant à chacun de vos fils. Je ne vous demande pour toute récompense que votre amitié, et ce jeune prince pour époux. Nous aurons encore assez de trois royaumes. » Le roi et toute la cour poussèrent de longs cris de joie et d’étonnement. Le mariage fut célébré aussitôt, aussi bien que celui des deux princes, de sorte que toute la cour passa plusieurs mois dans les divertissements et les plaisirs. Chacun ensuite partit pour aller gouverner ses États ; la belle Chatte-Blanche s’y est immortalisée, autant par ses bontés et ses libéralités que par son rare mérite et sa beauté.


moralité


Ce jeune prince fut heureux
De trouver en sa chatte une auguste princesse
Digne de recevoir son encens et ses vœux,
Et prête à partager ses soins et sa tendresse ;
Quand de deux yeux enchanteurs veulent se faire aimer,
On fait bien peu de résistance,
Surtout quand la reconnaissance,
Aide encore à nous enflammer.
Tairai-je cette mère, et cette folle envie,
Qui fit à Chatte Blanche éprouver tant d’ennuis ?
Pour goûter de funestes fruits,
Au pouvoir d’une fée elle la sacrifie.
Mères qui possédez des objets pleins d’appas,
Détestez sa conduite, et ne l’imitez pas.