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LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR

Les gardes du roi furent chez Avenant, qui ne pensait plus à ce qu’il avait dit ; ils le traînèrent en prison et lui firent mille maux. Ce pauvre garçon n’avait qu’un peu de paille pour se coucher, et il serait mort, sans une petite fontaine qui coulait dans le pied de la tour, dont il buvait un peu pour se rafraîchir, car la faim lui avait bien séché la bouche.

Un jour qu’il n’en pouvait plus, il disait en soupirant : « De quoi se plaint le roi ? Il n’a point de sujet qui lui soit plus fidèle que moi ; je ne l’ai jamais offensé. » Le roi, par hasard, passait près de la tour, quand il entendit la voix de celui qu’il avait tant aimé, il s’arrêta pour l’écouter, malgré ceux qui étaient avec lui, qui haïssaient Avenant et qui disaient au roi : « À quoi vous amusez-vous, sire ? ne savez-vous pas que c’est un fripon ? » Le roi répondit : « Laissez-moi là, je veux l’écouter. » Ayant ouï ses plaintes, les larmes lui vinrent aux yeux. Il ouvrit la porte de la tour et l’appela. Avenant vint tout triste se mettre à genoux devant lui, et baisa ses pieds : « Que vous ai-je fait, sire, lui dit-il, pour me traiter si durement ? — Tu t’es moqué de moi et de mon ambassadeur, dit le roi. Tu as dit que, si je t’avais envoyé chez la Belle aux cheveux d’or, tu l’aurais bien amenée. — Il est vrai, sire, répondit Avenant, que je lui aurais si bien fait connaître vos grandes qualités, que je suis persuadé qu’elle n’aurait pu s’en défendre ; et en cela je n’ai rien dit qui ne vous dût être agréable. » Le roi trouva qu’effectivement il n’avait point de tort ; il regarda de travers ceux qui lui avaient dit du mal de son favori, et il l’emmena avec lui, se repentant bien de la peine qu’il lui avait faite.

Après l’avoir fait souper à merveille, il l’appela dans son cabinet et lui dit : « Avenant, j’aime toujours la Belle aux cheveux d’or, ses refus ne m’ont point rebuté ; mais je ne sais comment m’y prendre pour qu’elle veuille m’épouser ; j’ai envie de t’y envoyer pour voir si tu pourras réussir. » Avenant répliqua qu’il était disposé à lui obéir en toutes choses, et qu’il partirait dès le lendemain. « Oh ! dit le roi, je veux te donner un grand équipage. — Cela n’est point nécessaire, répondit-il, il ne me faut qu’un bon cheval, avec des lettres de votre part. » Le roi l’embrassa ; car il était ravi de le voir sitôt prêt.

Ce fut le lundi matin qu’il prit congé du roi et de ses amis, pour aller à son ambassade tout seul, sans pompe et sans bruit. Il ne faisait que rêver aux moyens d’engager la Belle aux cheveux d’or d’épouser le roi ; il avait une écritoire dans sa poche, et, quand il lui venait quelque belle pensée à mettre dans sa harangue, il descendait de cheval et s’asseyait sous des arbres pour écrire, afin de ne rien oublier. Un matin qu’il était parti à la petite pointe du jour, en passant dans une grande prairie, il lui vint une pensée fort jolie ; il mit pied à terre, et se plaça contre des saules et des peupliers qui étaient plantés le long d’une petite rivière qui coulait au bord du pré. Après qu’il eut écrit, il regarda de tous côtés, charmé de se trouver en un si bel endroit. Il aperçut sur l’herbe une grosse carpe dorée qui bâillait et qui n’en pouvait plus ; car, ayant voulu attraper de petits moucherons, elle avait sauté si hors de l’eau, qu’elle s’était élancée sur l’herbe, où elle était près de mourir. Avenant en eut pitié ; et quoiqu’il fût jour maigre, et qu’il eût pu l’emporter pour son dîner, il fut la prendre et la remit doucement dans la rivière. Dès que ma commère la carpe sentit la fraîcheur de l’eau, elle commence à se réjouir, et se laisse couler jusqu’au fond ; puis revenant toute gaillarde au bord de la rivière : « Avenant, dit-elle, je vous remercie du plaisir que vous venez de me faire ; sans vous je serais morte, et vous m’avez sauvée ; je vous le revaudrai. » Après ce petit compliment, elle s’enfonça dans l’eau ; et Avenant demeura bien surpris de l’esprit et de la grande civilité de la carpe.


…Puis, revenant toute gaillarde au bord de la rivière : Avenant, dit-elle… (p. 12)

Un autre jour qu’il continuait son voyage, il vit un corbeau bien embarrassé : ce pauvre oiseau était poursuivi par un gros aigle, grand mangeur de corbeaux : il était près de l’attraper, et il l’aurait avalé comme une lentille, si Avenant n’eût eu compassion du malheur de cet oiseau. « Voilà, dit-il, comme les plus forts oppriment les plus faibles ; quelle raison a l’aigle de manger le corbeau ? » Il prend son arc qu’il portait toujours, et une flèche ; puis, mirant bien l’aigle, croc, il lui décoche la flèche dans le corps et le perce de part en part ; il tomba mort, et le corbeau, ravi, vint se percher sur un arbre : « Avenant, lui dit-il, vous êtes bien généreux de m’avoir secouru, moi qui ne suis qu’un misérable corbeau ; mais je n’en demeurerai point ingrat, je vous le revaudrai. »

Avenant admira le bon esprit du corbeau et continua son chemin. En entrant dans un grand bois, si matin qu’il ne voyait qu’à peine à se conduire, il entendit un hibou qui criait en hibou désespéré. « Ouais, dit-il, voilà un hibou bien affligé, il pourrait s’être laissé prendre dans quelque filet ; » il chercha de tous côtés, et enfin il trouva de grands filets que des oiseleurs avaient tendus la nuit pour attraper des oisillons. « Quelle pitié, dit-il ! les hommes ne