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LA BELLE AUX CHEVEUX D’OR

Au lieu de retourner chez lui, il fut droit au palais avec le petit Cabriole, qui était bien aise d’avoir fait venir son maître au bord de l’eau. L’on alla dire à la princesse qu’il demandait à la voir : « Hélas ! dit-elle, le pauvre garçon, il vient prendre congé de moi. Il a considéré que ce que je veux est impossible, et il va le dire à son maître. » L’on fit entrer Avenant, qui lui présenta sa bague et lui dit : « Madame la princesse, voilà votre commandement fait ; vous plaît-il recevoir le roi mon maître pour époux ? » Quand elle vit sa bague où il ne manquait rien, elle resta si étonnée, qu’elle croyait rêver. « Vraiment, dit-elle, gracieux Avenant, il faut que vous soyez favorisé de quelque fée, car naturellement cela n’est pas possible. — Madame, dit-il, je n’en connais aucune, mais j’avais bien envie de vous obéir. — Puisque vous avez si bonne volonté, continua-t-elle, il faut que vous me rendiez un autre service, sans lequel je ne me marierai jamais. Il y a un prince, qui n’est pas éloigné d’ici, appelé Galifron, lequel s’était mis dans l’esprit de m’épouser. Il me fit déclarer son dessein avec des menaces épouvantables, que si je le refusais il désolerait mon royaume ; mais jugez si je pouvais l’accepter, c’est un géant qui est plus haut qu’une haute tour ; il mange un homme comme un singe mange un marron. Quand il va à la campagne, il porte dans ses poches de petits canons, dont il se sert de pistolets : et, lorsqu’il parle bien haut, ceux qui sont près de lui deviennent sourds. Je lui mandai que je ne voulais point me marier, et qu’il m’excusât ; cependant il n’a laissé de me persécuter ; il tue tous mes sujets, et avant toutes choses il faut vous battre contre lui et m’apporter sa tête. »

Avenant demeura un peu étourdi de cette proposition ; il rêva quelque temps, puis il dit : « Eh bien, madame, je combattrai Galifron, je crois que je serai vaincu ; mais je mourrai en homme brave. » La princesse resta bien étonnée : elle lui dit mille choses pour l’empêcher de faire cette entreprise. Cela ne servit à rien : il se retira pour aller chercher des armes et tout ce qu’il lui fallait. Quand il eut ce qu’il voulait, il remit le petit Cabriole dans son panier, il monta sur son beau cheval, et fut dans le pays de Galifron. Il demandait de ses nouvelles à ceux qu’il rencontrait, et chacun lui disait que c’était un vrai démon, dont on n’osait approcher : plus il entendait dire cela, plus il avait peur. Cabriole le rassurait, et lui disait : « Mon cher maître, pendant que vous vous battrez, j’irai lui mordre les jambes ; il baissera la tête pour me chasser, et vous le tuerez. » Avenant admirait l’esprit du petit chien, mais il savait assez que son secours ne suffirait pas.

Enfin, il arriva près du château de Galifron ; tous les chemins étaient couverts d’os et de carcasses d’hommes qu’il avait mangés ou mis en pièces. Il ne l’attendit pas longtemps, qu’il le vit venir à travers un bois ; sa tête dépassait les plus grands arbres, et il chantait d’une voix épouvantable :


Où sont les petits enfants
Que je les croque à belles dents ?
Il m’en faut tant, tant et tant,
Que le monde n’est suffisant.

Aussitôt Avenant se mit à chanter sur le même air :


Approche, voici Avenant,
Qui t’arrachera les dents.
Bien qu’il ne soit pas des plus grands,
Pour te battre il est suffisant.


…Il se mit dans une colère effroyable ; et prenant une massue… (p. 14)

Les rimes n’étaient pas bien régulières mais il fit la chanson fort vite, et c’est même un miracle comme il ne la fît pas plus mal ; car il avait horriblement peur. Quand Galifron entendit ces paroles, il regarda de tous côtés, et il aperçut Avenant l’épée à la main, qui lui dit deux ou trois injures pour l’irriter. Il n’en fallut pas tant, il se mit dans une colère effroyable ; et prenant une massue toute de fer, il aurait assommé du premier coup le gentil Avenant, sans un corbeau qui vint se mettre sur le haut de sa tête, et avec son bec lui donna si juste dans les yeux, qu’il les creva ; son sang coulait sur son visage, il était comme un désespéré, frappant de tous côtés. Avenant l’évitait, et lui portait de grands coups d’épée qu’il enfonçait jusqu’à la garde, et qui lui faisaient mille blessures, par où il perdit tant de sang, qu’il tomba. Aussitôt Avenant lui coupa la tête, bien ravi d’avoir été si heureux ; et le corbeau, qui s’était perché sur un arbre, lui dit : « Je n’ai pas oublié le service que vous me rendîtes en tuant l’aigle qui me poursuivait ; je vous promis de m’en acquitter : je crois l’avoir fait aujourd’hui. — C’est moi qui vous dois tout, monsieur du corbeau, répliqua Avenant ; je demeure votre serviteur. » Il monta aussitôt à cheval, chargé de l’épouvantable tête de Galifron.

Quand il arriva dans la ville, tout le monde le suivait, et criait : « Voici le brave Avenant qui vient de tuer le