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FINETTE CENDRON




I l était une fois un roi et une reine qui avaient mal fait leurs affaires : on les chassa de leur royaume ; ils vendirent leurs couronnes pour vivre, puis leurs habits, leurs linges, leurs dentelles et tous leurs meubles, pièce à pièce ; les fripiers étaient las d’acheter, car tous les jours ils vendaient chose nouvelle. Quand le roi et la reine furent bien pauvres, le roi dit à sa femme : « Nous voilà hors de notre royaume ; nous n’avons plus rien : il faut gagner notre vie et celle de nos pauvres enfants ; avisez un peu ce que nous avons à faire, car jusqu’à présent je n’ai su que le métier de roi, qui est fort doux. »

La reine avait beaucoup d’esprit ; elle lui demanda huit jours pour y rêver. Au bout de ce temps, elle lui dit : « Sire, il ne faut point nous affliger. Vous n’avez qu’à faire des filets dont vous prendrez des oiseaux à la chasse et des poissons à la pêche ; pendant que les cordelettes s’useront, je filerai pour en faire d’autres. À l’égard de nos trois filles, ce sont de franches paresseuses, qui croient être de grandes dames, elles veulent faire les demoiselles ; il faut les mener si loin, si loin, qu’elles ne reviennent jamais, car il serait impossible que nous puissions leur fournir assez d’habits à leur gré. »

Le roi commença de pleurer, quand il vit qu’il fallait se séparer de ses enfants : il était bon père, mais la reine était la maîtresse. Il demeura donc d’accord de tout ce qu’elle voulait ; il lui dit : « Levez-vous demain de bon matin, et prenez vos trois filles, pour les mener où vous jugerez à propos. » Pendant qu’ils complotaient cette affaire, la princesse Finette, qui était la plus petite des filles, écoutait par le trou de la serrure, et, quand elle eut découvert le dessein de son papa et de sa maman, elle s’en alla tant qu’elle put à une grande grotte, fort éloignée de chez eux, où demeurait la fée Merluche, qui était sa marraine.

Finette avait pris deux livres de beurre frais, des œufs, du lait et de la farine, pour faire un excellent gâteau à sa marraine, afin d’en être bien reçue. Elle commença gaîment son voyage ; mais plus elle allait, plus elle se lassait. Ses souliers s’usèrent jusqu’à la dernière semelle, et ses petits pieds mignons s’écorchèrent si fort que c’était grande pitié : elle n’en pouvait plus ; elle s’assit sur l’herbe, pleurant.

Par là passa un beau cheval d’Espagne, tout sellé, tout bridé ; il y avait plus de diamants à sa housse, qu’il n’en faudrait pour acheter trois villes ; et quand il vit la princesse, il se mit à paître doucement auprès d’elle, ployant le jarret, il semblait lui faire la révérence ; aussitôt elle le prit par la bride : « Gentil dada, dit-elle, voudrais-tu bien me porter chez ma marraine la fée ? Tu me feras un grand plaisir, car je suis si lasse que je vais mourir ; mais si tu me sers dans cette occasion, je te donnerai de bonne avoine et de bon foin ; tu auras de la paille fraîche pour te coucher. » Le cheval se baissa presque à terre devant elle, et la jeune Finette sauta dessus. Il se mit à courir si légèrement, qu’il semblait que ce fût un oiseau. Il s’arrêta à l’entrée de la grotte, comme s’il en avait su le chemin, et il le savait bien aussi, car c’était Merluche qui, ayant deviné que sa filleule la voulait venir voir, lui avait envoyé ce beau cheval.

Quand elle fut entrée, elle fit trois grandes révérences à sa marraine, et prit le bas de sa robe qu’elle baisa, et puis elle lui dit : « Bonjour, ma marraine, comment vous portez-vous ? Voilà du beurre, du lait, de la farine et des œufs que je vous apporte pour vous faire un bon gâteau à la mode de notre pays. — Soyez la bienvenue, Finette, dit la fée ; venez que je vous embrasse. » Elle l’embrassa deux fois, dont Finette resta très joyeuse, car madame Merluche n’était pas une fée à la douzaine. Elle dit : « Çà, ma filleule, je veux que vous soyez ma petite femme de chambre ; décoiffez-moi et me peignez. » La princesse la décoiffa et la peigna le plus adroitement du monde. « Je sais bien, dit Merluche, pourquoi vous venez ici. Vous avez écouté le roi et la reine qui veulent vous mener perdre, et vous voulez éviter ce malheur. Tenez, vous n’avez qu’à prendre ce peloton, le fil n’en rompra jamais. Vous attacherez le bout à la porte de votre maison, et vous le tiendrez à votre main. Quand la reine vous aura laissée, il vous sera aisé de revenir en suivant le fil. »

La princesse remercia sa marraine, qui lui remplit un sac de beaux habits, tous d’or et d’argent. Elle l’embrassa ; elle la fit remonter sur le joli cheval, et en deux ou trois