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FINETTE CENDRON.

ces nouvelles. Il fallut pourtant partir ; et elles allèrent si loin, qu’il ne s’est jamais fait un si long voyage. Finette, qui ne disait mot, se tenait derrière les autres et secouait sa cendre à merveille, sans que le vent ni la pluie y gâtassent rien. La reine étant persuadée qu’elles ne pourraient retrouver le chemin, remarqua un soir que ses trois filles étaient bien endormies ; elle prit ce temps pour les quitter et revint chez elle. Quand il fut jour et que Finette connut que sa mère n’y était plus, elle éveilla ses sœurs : « Nous voici seules, dit-elle, la reine s’en est allée. » Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit se prirent à pleurer : elles arrachaient leurs cheveux, et meurtrissaient leur visage à coups de poings. Elles s’écriaient : « Hélas ! qu’allons-nous faire ? » Finette était la meilleure fille du monde ; elle eut encore pitié de ses sœurs. « Voyez à quoi je m’expose, leur dit-elle ; car lorsque ma marraine m’a donné le moyen de revenir, elle m’a défendu de vous enseigner le chemin et que si je lui désobéissais, elle ne voulait plus me voir. » Belle-de-Nuit se jette au cou de Finette, autant en fit Fleur-d’Amour ; elles la caressèrent si tendrement, qu’il n’en fallut pas davantage pour revenir toutes trois ensemble chez le roi et la reine.

Leurs Majestés furent bien surprises de revoir les princesses ; elles en parlèrent toute la nuit, et la cadette, qui ne se nommait pas Fine-Oreille pour rien, entendait qu’ils faisaient un nouveau complot, et que le lendemain, la reine se remettrait en campagne. Elle courut éveiller ses sœurs. « Hélas ! leur dit-elle, nous sommes perdues ! la reine veut absolument nous mener dans quelque désert, et nous y laisser. Vous êtes cause que j’ai fâché ma marraine, je n’ose l’aller trouver comme je faisais toujours. » Elles restèrent bien en peine, et se disaient l’une à l’autre : « Que ferons-nous, ma sœur, que ferons-nous ? » Enfin, Belle-de-Nuit dit aux deux autres : « Il ne faut pas s’embarrasser, la vieille Merluche n’a pas tant d’esprit qu’il n’en reste un peu aux autres : nous n’avons qu’à nous charger de pois ; nous les sèmerons le long du chemin et nous reviendrons. » Fleur-d’Amour trouva l’expédient admirable ; elles se chargèrent de pois, elles remplirent leurs poches ; pour Fine-Oreille, au lieu de prendre des pois, elle prit le sac aux beaux habits, avec la petite boîte de diamants, et dès que la reine les appela pour partir, elles se trouvèrent toutes prêtes.

Elle leur dit : « J’ai rêvé cette nuit qu’il y a dans un pays, qu’il n’est pas nécessaire de nommer trois beaux princes qui vous attendent pour vous épouser ; je vais vous y mener, pour voir si mon songe est véritable. » La reine allait devant et ses filles après, qui semaient des pois sans s’inquiéter, car elles étaient certaines de retourner à la maison. Pour cette fois la reine alla plus loin encore qu’elle n’était allée : mais pendant une nuit obscure, elle les quitta et revint trouver le roi ; elle arriva fort lasse et fort aise de n’avoir plus un si grand ménage sur les bras.

Les trois princesses ayant dormi jusqu’à onze heures du matin se réveillèrent ; Finette s’aperçut la première de l’absence de la reine ; bien qu’elle s’y fût préparée, elle ne laissa pas de pleurer, se confiant davantage pour son retour à sa marraine la fée, qu’à l’habileté de ses sœurs. Elle fut leur dire toute effrayée : « La reine est partie, il faut la suivre au plus vite. — Taisez-vous, petite babouine, répliqua Fleur-d’Amour, nous trouverons bien le chemin quand nous voudrons, vous faites ici ma commère l’empressée mal à propos. » Finette n’osa répliquer. Mais quand elles voulurent retrouver le chemin, il n’y avait plus ni traces ni sentiers ; les pigeons, dont il y a grand nombre en ce pays-là, étaient venus manger les pois. Elles se mirent à pleurer jusqu’aux cris. Après être resté deux jours sans manger, Fleur-d’Amour dit à Belle-de-Nuit : « Ma sœur, n’as-tu rien à manger ? — Non », dit-elle. Elle dit la même chose à Finette : « Je n’ai rien non plus, répliqua-t-elle, mais je viens de trouver un gland. — Ah ! donnez-le-moi, dit l’une. — Donnez-le-moi, dit l’autre. » Chacune le voulait avoir. « Nous ne serons guère rassasiées d’un gland à nous trois, dit Finette ; plantons-le, il en viendra un arbre qui nous pourra servir. » Elles y consentirent quoiqu’il n’y eût guère d’apparence qu’il vînt un arbre dans un pays où il n’y en avait point ; on n’y voyait que des choux et des laitues, dont les princesses mangeaient ; si elles avaient été bien délicates, elles seraient mortes cent fois ; elles couchaient presque toujours à la belle étoile ; tous les matins et tous les soirs elles allaient tour à tour arroser le gland, et lui disaient : « Croîs, croîs, beau gland ! » Il commença de croître à vue d’œil. Quand il fut un peu grand, Fleur-d’Amour voulut monter dessus, mais il n’était pas assez fort pour la porter ; elle le sentait plier sous elle, aussitôt elle descendit. Belle-de-Nuit eut la même aventure ; Finette plus légère s’y tint longtemps, et ses sœurs lui demandèrent : « Ne vois-tu rien, ma sœur ? » Elle leur répondit : « Non, je ne vois rien. — Ah ! c’est que le chêne n’est pas assez haut », disait Fleur-d’Amour ; de sorte qu’elles continuaient d’arroser le gland et de lui dire : « Croîs, croîs, beau gland ! » Finette ne manquait jamais d’y monter deux fois par jour. Un matin qu’elle y était, Belle-de-Nuit dit à Fleur-d’Amour : « J’ai trouvé un sac que notre sœur nous a caché ; qu’est-ce qu’il peut y avoir dedans ? » Fleur-d’Amour répondit : « Elle m’a dit que c’était de vieilles dentelles qu’elle raccommode. — Et moi, je crois que c’est du bonbon, » ajouta Belle-de-Nuit. Elle était friande, et voulut y voir ; elle y trouva effectivement toutes les dentelles du roi et de la reine, mais elles servaient à cacher les beaux habits de Finette et la boîte de diamants. « Eh bien, se peut-il une plus grande petite coquine ! s’écria-t-elle ; il faut prendre tout pour nous, et mettre des pierres à la place. » Elles le firent promptement. Finette revint sans s’apercevoir de la malice de ses sœurs, car elle ne s’avisait pas de se parer dans un désert ;