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FINETTE CENDRON.

la reine, qui l’aimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pour avoir de bon gibier et des confitures ; c’était pour lui moins que rien, il regardait tout cela sans répondre à la reine quand elle lui parlait. L’on envoya quérir des médecins partout, même jusqu’à Paris et à Montpellier ; quand ils furent arrivés, on leur fit voir le prince, et après l’avoir considéré trois jours et trois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent qu’il était amoureux, et qu’il mourrait si l’on n’y apportait remède.

La reine, qui l’aimait à la folie, pleurait à fondre en eau de ne pouvoir découvrir celle qu’il aimait pour la lui faire épouser : elle amenait dans sa chambre les plus belles dames, il ne daignait pas les regarder. Enfin, elle lui dit une fois : « Mon cher fils, tu veux nous faire étouffer de douleur, car tu aimes, et tu nous caches tes sentiments ; dis-nous qui tu veux, et nous te la donnerons, quand ce ne serait qu’une simple bergère. » Le prince, plus hardi par les promesses de la reine, tira la mule de dessous son chevet, et l’ayant montrée : « Voilà, madame, lui dit-il, ce qui cause mon mal ; j’ai trouvé cette petite pouponne, mignonne, jolie mule en allant à la chasse ; je n’épouserai jamais que celle qui pourra la chausser. — Eh bien, mon fils, dit la reine, ne t’afflige point, nous la ferons chercher. » Elle fut dire au roi cette nouvelle ; il demeura bien surpris, et commanda en même temps que l’on fût avec des tambours et des trompettes, annoncer que toutes les filles et les femmes vinssent pour chausser la mule, et que celle à qui elle serait propre, épouserait le prince. Chacune ayant entendu de quoi il était question, se décrassa les pieds avec toutes sortes d’eaux, de pâtes et de pommades. Il y eut des dames qui se les firent peler, pour avoir la peau plus belle ; d’autres jeûnaient ou se les écorchaient afin de les avoir plus petits. Elles allaient en foule essayer la mule, une seule ne la pouvait mettre ; et plus il en venait inutilement, plus le prince s’affligeait.

Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit se firent un jour si braves, que c’était une chose étonnante. « Où allez-vous donc ? leur dit Finette. — Nous allons à la grande ville, répondirent-elles, où le roi et la reine demeurent, essayer la mule que le fils du roi a trouvée ; car si elle est propre à l’une de nous deux, il l’épousera et nous serons reines. — Et moi, dit Finette, n’irai-je point ? — Vraiment, dirent-elles, tu es un bel oison bridé ; va, va arroser nos choux : tu n’es propre à rien. »

Finette songea aussitôt qu’elle mettrait ses plus beaux habits, et qu’elle irait tenter l’aventure comme les autres, car elle avait quelque petit soupçon qu’elle y aurait bonne part ; ce qui lui faisait de la peine, c’est qu’elle ne savait pas le chemin, le bal où l’on allait danser n’était point dans la grande ville. Elle s’habilla magnifique, sa robe était de satin bleu, toute couverte d’étoiles et de diamants ; elle avait un soleil sur la tête, une pleine lune sur le dos, tout cela brillait si fort, qu’on ne la pouvait regarder sans clignoter les yeux. Quand elle ouvrit la porte pour sortir, elle resta bien étonnée de trouver le joli cheval d’Espagne qui l’avait portée chez sa marraine : elle le caressa et lui dit : « Sois le bienvenu, mon petit dada ; je suis obligée à ma marraine Merluche. » Il se baissa, elle s’assit dessus comme une nymphe : il était tout couvert de sonnettes d’or et de rubans ; sa housse et sa bride n’avaient point de prix ; et Finette était trente fois plus belle que la belle Hélène.

Le cheval d’Espagne allait légèrement, les sonnettes faisaient din, din, din ; Fleur-d’Amour et Belle-de-Nuit les ayant entendues, se retournèrent et la virent venir ; mais dans ce moment quelle fut leur surprise ! elles la reconnurent pour être Finette Cendron. Elles étaient fort crottées, leurs beaux habits étaient couverts de boue : « Ma sœur, s’écria Fleur-d’Amour, en parlant à Belle-de-Nuit, je vous proteste que voici Finette Cendron. » L’autre s’écria tout de même ; et Finette passant près d’elles, son cheval les éclaboussa, et leur fit un masque de crotte ; elle se prit à rire, et leur dit : « Altesses, Cendron vous méprise autant que vous le méritez. » Puis passant comme un trait, la voilà partie. Belle-de-Nuit et Fleur-d’Amour s’entre-regardèrent. « Est-ce que nous rêvons ? disaient-elles ; qui est-ce qui peut avoir fourni des habits et un cheval à Finette ? Quelle merveille ! le bonheur lui en veut : elle va chausser la mule, et nous n’aurons que la peine d’un voyage inutile. »

Pendant qu’elles se désespéraient, Finette arrive au palais ; dès qu’on la vit, chacun crut que c’était une reine ; les gardes prennent leurs armes, l’on bat le tambour, l’on sonne la trompette, l’on ouvre toutes les portes, et ceux qui l’avaient vue au bal, allaient devant elle, disant : « Place, place ! c’est la belle Cendron, c’est la merveille de l’Univers ! » Elle entre avec cet appareil dans la chambre du prince mourant ; il jette les yeux sur elle, et demeure charmé, souhaitant qu’elle eût le pied assez petit pour chausser la mule : elle la mit tout d’un coup et montra la pareille, qu’elle avait apportée exprès. En même temps l’on crie : « Vive la princesse Chérie ! vive la princesse qui sera notre reine ! » Le prince se leva de son lit, il vint lui baiser les mains ; elle le trouva beau et plein d’esprit ; il lui fit mille amitiés. L’on avertit le roi et la reine, qui accoururent ; la reine prend Finette entre ses bras, l’appelle sa fille, sa mignonne, sa petite reine, lui fait des présents admirables, sur lesquels le roi libéral renchérit encore. L’on tire le canon ; les violons, les musettes, tout joue ; l’on ne parle que de danser et de se réjouir.

Le roi, la reine et le prince prient Cendron de se laisser marier : « Non, dit-elle, il faut avant que je vous conte mon histoire. » Ce qu’elle fit en quatre mots. Quand ils surent qu’elle était née princesse, c’était bien une autre joie ; il tint à peu qu’ils n’en mourussent ; mais lorsqu’elle leur dit le nom du roi son père, de la reine sa mère, ils