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LE NAIN JAUNE

car je jure par mon escoffion que vous l’épouserez, ou que je brûlerai ma béquille.

« Ah ! princesse, dit la reine en pleurant, qu’est-ce que j’apprends, qu’avez-vous promis ? Ah ! ma mère, répliqua douloureusement Toute-Belle, qu’avez-vous promis vous-même ? » Le roi des Mines-d’Or, indigné de ce qui se passait, et que cette méchante vieille vînt s’opposer à sa félicité, s’approcha d’elle l’épée à la main, et la portant à sa gorge : « Malheureuse, lui dit-il, éloigne-toi de ces lieux pour jamais, ou la perte de ta vie me vengera de ta malice. »

Il eut à peine prononcé ces mots que le dessus de la boîte sauta jusques au plancher avec un bruit affreux, et l’on en vit sortir le Nain jaune monté sur un gros chat d’Espagne, qui vint se mettre entre le fée du désert et le roi des Mines-d’Or. « Jeune téméraire, lui dit-il, ne pense pas outrager cette illustre fée ; c’est à moi seul que tu as affaire ; je suis ton rival, je suis ton ennemi ; l’infidèle princesse qui veut se donner à toi m’a donné sa parole et reçu la mienne ; regarde si elle n’a pas une bague d’un de mes cheveux ; tâche de la lui ôter, et tu verras, par ce petit essai que ton pouvoir est moindre que le mien. — Misérable monstre, lui dit le roi, as-tu bien la témérité de te dire l’adorateur de cette divine princesse, et de prétendre à une possession si glorieuse ? Songes-tu que tu es un magot, dont l’hideuse figure fait mal aux yeux, et que je t’aurais déjà ôté la vie, si tu étais digne d’une mort si glorieuse. » Le Nain jaune, offensé jusqu’au fond de l’âme, appuya l’éperon dans le ventre de son chat qui commença un miaulis épouvantable, et sautant deçà et delà, il faisait peur à tout le monde, hors au brave roi, qui serrait le nain de près, quand il tira un large coutelas dont il était armé, et, défiant le roi au combat, il descendit dans la place du palais avec un bruit étrange.

Le roi, courroucé, le suivit à grands pas. À peine furent-ils vis-à-vis l’un de l’autre et toute la cour sur des balcons, que le soleil, devenant tout d’un coup aussi rouge que s’il eût été ensanglanté, il s’obscurcit à tel point, qu’à peine se voyait-on ; le tonnerre et les éclairs semblaient vouloir abîmer le monde, et les deux coqs d’Inde parurent aux côtés du mauvais nain comme deux géants plus hauts que des montagnes, qui jetaient le feu par la bouche et par les yeux, avec une telle abondance, que l’on eût cru que c’était une fournaise ardente. Toutes ces choses n’auraient point été capables d’effrayer le cœur magnanime du jeune monarque ; il marquait une intrépidité dans ses regards et dans ses actions, qui rassurait tous ceux qui s’intéressaient à sa conservation et qui embarrassait peut-être bien le Nain jaune : mais son courage ne fut pas à l’épreuve de l’état où il aperçut sa chère princesse, lorsqu’il vit la fée du Désert coiffée en Tisiphone, sa tête couverte de longs serpents, montée sur un griffon ailé, armée d’une lance dont elle la frappa si rudement, qu’elle la fit tomber entre les bras de la reine toute baignée de son sang. Cette tendre mère, plus blessée du coup que sa fille ne l’avait été, poussa des cris et fit des plaintes que l’on ne peut représenter. Le roi perdit alors son courage et sa raison ; il abandonna le combat et courut vers la princesse pour la secourir ou pour expirer avec elle ; mais le Nain jaune ne lui laissa pas le temps de s’en approcher : il s’élança avec son chat espagnol dans le balcon où elle était ; il l’arracha des mains de la reine et de celles de toutes les dames, puis, sautant sur le toit du palais, il disparut avec sa proie.

Le roi, confus et immobile, regardait avec le dernier désespoir une aventure si extraordinaire et à laquelle il était assez malheureux de ne pouvoir apporter aucun remède, quand pour comble de disgrâce, il sentit que ses yeux se couvraient, qu’ils perdaient la lumière, et que quelqu’un d’une force extraordinaire l’emportait dans le vaste espace de l’air. Que de disgrâces ! Amour ! cruel amour ! est-ce ainsi que tu traites ceux qui te reconnaissent pour leur vainqueur ?

Cette mauvaise fée du Désert, qui était venue avec le Nain jaune pour le seconder dans l’enlèvement de la princesse, eut à peine vu le roi des Mines-d’Or, que son cœur barbare, devenant sensible au mérite de ce jeune prince, elle en voulut faire sa proie, et l’emporta au fond d’une affreuse caverne, où elle le chargea de chaînes qu’elle avait attachées à un rocher ; elle espérait que la crainte d’une mort prochaine lui ferait oublier Toute-Belle, et l’engagerait de faire ce qu’elle voudrait. Dès qu’elle fut arrivée, elle lui rendit la vue, sans lui rendre la liberté, et empruntant de l’art de féerie les grâces et les charmes que la nature lui avait refusés, elle parut devant lui comme une aimable nymphe que le hasard conduisait dans ces lieux.

« Que vois-je ! s’écria-t-elle ! quoi, c’est vous, prince charmant ! quelle infortune vous accable et vous retient dans un si triste séjour ? » Le roi, déçu par des apparences si trompeuses, lui répliqua : « Hélas ! belle nymphe, j’ignore ce que me veut la furie infernale qui m’a conduit ici, bien qu’elle m’ait ôté l’usage de mes yeux, lorsqu’elle m’a enlevé, et qu’elle n’ait point paru depuis, je n’ai pas laissé de reconnaître, au son de sa voix, que c’est la fée du Désert. — Ah ! seigneur, s’écria la fausse nymphe, si vous êtes entre les mains de cette femme, vous n’en sortirez point qu’après l’avoir épousée ; elle a fait ce tour à plus d’un héros, et c’est la personne du monde la moins traitable sur ses entêtements. » Pendant qu’elle feignait de prendre beaucoup de part à l’affliction du roi, il aperçut les pieds de la nymphe, qui étaient semblables à ceux d’un griffon ; c’était toujours à cela qu’on reconnaissait la fée dans ses différentes métamorphoses ; car à l’égard de ce griffonnage, elle ne pouvait le changer.

Le roi n’en témoigna rien, et, lui parlant sur un ton de confidence : « Je ne sens aucune aversion, lui dit-il, pour