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LA CHATTE BLANCHE




I l était une fois un roi qui avait trois fils bien faits et courageux ; il eut peur que l’envie de régner ne leur prît avant sa mort ; il courait même certains bruits qu’ils cherchaient à s’acquérir des créatures, et que c’était pour lui ôter son royaume. Le roi se sentait vieux ; mais son esprit et sa capacité n’ayant point diminué, il n’avait pas envie de leur céder une place qu’il remplissait dignement ; il pensa donc que le meilleur moyen de vivre en repos, c’était de les amuser par des promesses dont il saurait toujours éluder l’effet.

Il les appela dans son cabinet, et, après leur avoir parlé avec beaucoup de bonté, il ajouta : « Vous conviendrez avec moi, mes chers enfants, que mon grand âge ne permet pas que je m’applique aux affaires de mon État avec autant de soins que je le faisais autrefois ; je crains que mes sujets n’en souffrent. Je veux mettre ma couronne sur la tête d’un de vous autres ; mais il est bien juste que, pour un tel présent, vous cherchiez les moyens de me plaire, dans le dessein que j’ai de me retirer à la campagne. Il me semble qu’un petit chien adroit, joli et fidèle, me tiendrait bonne compagnie ; de sorte que, sans choisir mon fils aîné plutôt que mon cadet, je vous déclare que celui des trois qui m’apportera le plus beau petit chien sera aussitôt mon héritier. » Ces princes demeurèrent surpris de l’inclination de leur père pour un petit chien ; mais les deux cadets y pouvaient trouver leur compte, et ils acceptèrent avec plaisir la commission d’aller en chercher un. L’aîné était trop timide ou trop respectueux pour représenter ses droits. Ils prirent congé du roi ; il leur donna de l’argent et des pierreries, ajoutant que dans un an, sans y manquer, ils revinssent au même jour et à la même heure lui apporter leur petit chien.

Avant de partir, ils allèrent dans un château qui n’était qu’à une lieue de la ville. Ils y menèrent leurs plus confidents et firent de grands festins, où les trois frères se promirent une amitié éternelle, qu’ils agiraient dans l’affaire en question sans jalousie et sans chagrin, et que le plus heureux ferait toujours part de sa fortune aux autres. Enfin ils partirent, réglant qu’ils se trouveraient, à leur retour, dans le même château, pour aller ensemble chez le roi. Ils ne voulurent être suivis de personne, et changèrent leur nom pour n’être pas reconnus.

Chacun prit une route différente. Les deux aînés eurent beaucoup d’aventures ; mais je ne m’attache qu’à celles du cadet. Il était gracieux, il avait l’esprit gai et réjouissant, la tête admirable, la taille noble, les traits réguliers, de belles dents, beaucoup d’adresse dans tous les exercices qui conviennent à un prince ; il chantait agréablement ; il touchait le luth et le théorbe avec une délicatesse qui charmait ; il savait peindre ; en un mot, il était très accompli et, pour la valeur, cela allait jusqu’à l’intrépidité.

Il n’y avait guère de jour qu’il n’achetât des chiens, de grands, de petits, des lévriers, des dogues, limiers, chiens de chasse, épagneuls, barbets, bichons ; dès qu’il en avait un beau et qu’il en trouvait un plus beau, il laissait aller le premier pour garder l’autre ; car il aurait été impossible qu’il eût mené tout seul trente ou quarante mille chiens, et il ne voulait ni gentilshommes, ni valets de chambre, ni pages à sa suite. Il avançait toujours son chemin, n’ayant point déterminé jusqu’où il irait, lorsqu’il fut surpris de la nuit, du tonnerre et de la pluie, dans une forêt dont il ne pouvait plus reconnaître les sentiers.

Il prit le premier chemin, et, après avoir marché longtemps, il aperçut un peu de lumière ; ce qui lui persuada qu’il y avait quelque maison proche où il se mettrait à l’abri jusqu’au lendemain. Ainsi guidé par la lumière qu’il voyait, il arriva à la porte d’un château, le plus superbe qui se soit jamais imaginé. Cette porte était d’or, couverte d’escarboucles dont la lumière vive et pure éclairait tous les environs. C’était elle que le prince avait vue de fort loin. Les murs étaient d’une porcelaine transparente, mêlée de plusieurs couleurs, qui représentaient l’histoire de toutes les fées, depuis la création du monde jusqu’alors ; les fameuses aventures de Paau-d’Ane, de Finette, de l’Oranger, de Gracieuse, de la Belle au bois dormant, de Serpentin-Vert, et de cent autres, n’y étaient pas oubliées. Il fut charmé d’y reconnaître le prince Lutin, car c’était son oncle à la mode de Bretagne. La pluie et le mauvais temps l’empêchèrent de s’arrêter davantage dans un lieu où il se mouillait jusqu’aux os, outre qu’il ne voyait point