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LE PRINCE

poignées. Il l’aurait étranglé s’il avait pu : il lui défendit de paraître jamais devant lui. Le père de Léandre offensé du procédé de Furibon, envoya son fils dans un château qu’il avait à la campagne. Il ne s’y trouva point désœuvré ; il aimait la chasse, la pêche et la promenade ; il savait peindre, il lisait beaucoup, et jouait de plusieurs instrumens. Il s’estima heureux de n’être plus obligé de faire la cour à son fantasque prince, et, malgré la solitude, il ne s’ennuyait pas un moment.

Un jour qu’il s’était promené long-temps dans ses jardins, comme la chaleur augmentait, il entra dans un petit bois dont les arbres étaient si hauts et si touffus, qu’il se trouva agréablement à l’ombre. Il commençait à jouer de la flûte pour se divertir, lorsqu’il sentit quelque chose qui faisait plusieurs tours à sa jambe, et qui la serrait très-fort. Il regarda ce que ce pouvait être, et fut bien surpris de voir une grosse couleuvre : il prit son mouchoir, et l’attrapant par la tête, il allait la tuer ; mais elle entortilla encore le reste de son corps autour de son bras, et le regardant fixement, elle semblait lui demander grâce. Un de ses jardiniers arriva là-dessus ; il n’eut pas plutôt aperçu la couleuvre, qu’il cria à son maître : « Seigneur, tenez-la bien il y a une heure que je la poursuis pour la tuer : c’est la plus fine bête qui soit au monde ; elle désole nos parterres. » Léandre jeta encore les yeux sur la couleuvre, qui était tachetée de mille couleurs extraordinaires, et qui, le regardant toujours, ne remuait point