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LE PRINCE

son petit chapeau rouge ne lui devait servir que pour réparer les torts publics, et pour consoler les affligés. Il courut au temple ; la jeune enfant était couronnée de fleurs, vêtue de blanc, couverte de ses cheveux ; deux de ses frères la conduisaient par la main, et sa mère la suivait avec une grosse troupe d’hommes et de femmes : la plus ancienne des vestales attendait à la porte du temple. En même temps Lutin cria à tue-tête : « Arrêtez, arrêtez, mauvais frères, mère inconsidérée, arrêtez, le ciel s’oppose à cette injuste cérémonie ! Si vous passez outre, vous serez écrasés comme des grenouilles. » On regardait de tous côtés sans voir d’où venaient ces terribles menaces. Les frères dirent que c’était l’amant de leur sœur, qui s’était caché au fond de quelque trou pour faire ainsi l’oracle ; mais Lutin en colère prit un long bâton, et leur en donna cent coups. On voyait hausser et baisser le bâton sur leurs épaules, comme un marteau dont on aurait frappé l’enclume ; il n’y avait plus moyen de dire que les coups n’étaient pas réels. La frayeur saisit les vestales, elles s’enfuirent ; chacun en fit autant : Lutin resta avec la jeune victime. Il ôta promptement son petit chapeau, et lui demanda en quoi il pouvait la servir. Elle lui dit, avec plus de hardiesse qu’on n’en aurait attendu d’une fille de son âge, qu’il y avait un cavalier qui ne lui était pas indifférent, mais qu’il lui manquait du bien ; il leur secoua tant la rose de la fée Gentille, qu’il leur laissa dix millions : ils se marièrent, et vécurent très-heureux.