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LE NAIN

cun qui se défendit du pouvoir inévitable de ses charmes : les uns en tombèrent malades, les autres en perdirent l’esprit, et les plus heureux arrivèrent en bonne santé auprès d’elle ; mais sitôt qu’elle parut, ces pauvres princes devinrent ses esclaves.

Il n’a jamais été une cour plus galante et plus polie. Vingt rois, à l’envi, essayaient de lui plaire ; et après avoir dépensé trois ou quatre cent millions à lui donner seulement une fête lorsqu’ils en avaient tiré un cela est joli, ils se trouvaient trop récompensés. Les adorations qu’on avait pour elle ravissaient la reine ; il n’y avait point de jours où on ne reçût à sa cour sept ou huit mille sonnets autant d’élégies, de madrigaux et de chansons, qui étaient envoyés par tous les poëtes de l’univers. Toute-Belle était l’unique objet de la prose et de la poésie des auteurs de son temps : l’on ne faisait jamais de feux de joie qu’avec ces vers, qui pétillaient et brûlaient mieux qu’aucune sorte de bois.

La princesse avait déjà quinze ans, personne n’osait prétendre à l’honneur d’être son époux et il n’y avait personne qui ne désirât de le devenir. Mais comment toucher un cœur de ce caractère ? On se serait pendu cinq ou six fois par jour pour lui plaire, qu’elle aurait traité cela de bagatelle. Ses amans murmuraient fort contre sa cruauté ; et la reine qui voulait la marier, ne savait comment s’y prendre pour l’y résoudre. « Ne voulez-vous pas, lui disait-elle quelquefois, rabattre un peu de cet orgueil insuppor-