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SERPENTIN

s’écria la princesse, et si tu cherches à me faire quelque plaisir, ne te montre jamais à mes yeux. » Serpentin Vert fit un long sifflement (c’est la manière dont les serpens soupirent), et sans rien répliquer, il s’enfonça dans l’onde. « Quel horrible monstre, disait la princesse en elle-même, il a des ailes verdâtres ; son corps est de mille couleurs ; ses griffes d’ivoire, ses yeux de feu, et sa tête hérissée de longs crins : ah ! j’aime mieux périr que de lui devoir la vie. Mais, reprenait-elle, quel attachement a-t-il à me suivre, et par quelle aventure peut-il parler comme s’il était raisonnable ? » Elle rêvait ainsi, quand une voix répondant à sa pensée, lui dit : « Apprends, Laidronette, qu’il ne faut point mépriser Serpentin Vert ; et si ce n’était pas te dire une dureté, je t’assurerais qu’il est moins laid en son espèce, que tu ne l’es en la tienne ; mais bien loin de vouloir te fâcher, l’on voudrait soulager tes peines, si tu voulais y consentir. »

Cette voix surprit beaucoup la princesse, et ce qu’elle lui avait dit lui parut si peu soutenable, qu’elle n’eut pas assez de force pour retenir ses larmes ; mais y faisant tout à coup réflexion : « Quoi ! s’écria-t-elle, je ne veux pas pleurer ma mort, et j’ai la faiblesse de pleurer, parce qu’on me reproche ma laideur : de quoi me servirait, hélas ! d’être la plus belle personne du monde, je n’en périrais pas moins ; ce me doit être même un motif de consolation pour m’empêcher de regretter, la vie. »

Pendant qu’elle moralisait ainsi, la barque flot-