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LA BICHE

qu’elle, en usa tout de même, croyant bien qu’elle aurait cette petite ruse ; de sorte qu’il la découvrit dans le plus épais de la forêt. Elle s’y trouvait en sûreté, lorsqu’elle l’aperçut : aussitôt elle bondit, elle saute par-dessus les buissons ; et comme si elle l’eût appréhendé davantage, à cause du tour qu’elle lui avait fait le soir, elle fuit plus légère que les vents ; mais dans le moment qu’elle traversait un sentier, il la mire si bien, qu’il lui en fonce une flèche dans la jambe. Elle sentit une douleur violente, et n’ayant plus assez de force pour fuir, elle se laissa tomber.

Amour cruel et barbare ! où étais-tu donc ? Quoi ! tu laisses blesser une fille incomparable par son tendre amant ? Cette triste catastrophe était inévitable, car la fée de la fontaine y avait attaché la fin de l’aventure. Le prince s’approcha, il eut un sensible regret de voir couler le sang de la biche : il prit des herbes, il les lia sur sa jambe pour la soulager, et lui fit un nouveau lit de ramée. Il tenait la tête de Bichette appuyée sur ses genoux : « N’es-tu pas cause, petite volage, lui disait-il, de ce qui t’est arrivé ? Que t’avais-je fait hier, pour m’abandonner ? Il n’en sera pas aujourd’hui de même, je t’emporterai. » La biche ne répondit rien. Qu’aurait-elle dit ? elle avait tort et ne pouvait parler car ce n’est pas toujours une conséquence que ceux qui ont tort se taisent. Le prince lui faisait mille caresses. « Que je souffre de t’avoir blessée, lui disait-il : tu me haïras, et