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LE MOUTON

dans la forêt. Le jour paraissait déjà un peu ; la princesse regarda son conducteur ; il avait les larmes aux yeux, et il était si triste, qu’il ne pouvait parler. Qu’avez-vous ? lui dit-elle avec un air de bonté charmant, vous me paraissez bien affligé ! — Ah ! madame, qui ne le serait, s’écria-t-il, de l’ordre le plus funeste qui ait jamais été. Le roi veut que je vous égorge ici, et que je lui porte votre cœur et votre langue ; si j’y manque, il me fera mourir. La pauvre princesse effrayée, pâlit et commença à pleurer tout doucement ; elle semblait d’un petit agneau qu’on allait immoler. Elle attacha ses beaux yeux sur le capitaine des gardes, et le regardant sans colère : Aurez-vous bien le courage, lui dit-elle, de me tuer, moi qui ne vous ai jamais fait de mal, et qui n’ai dit au roi que du bien de vous ? Encore si j’avais mérité la haine de mon père, j’en souffrirais les effets sans murmurer. Hélas ! je lui ai tant témoigné de respect et d’attachement, qu’il ne peut se plaindre sans injustice. — Ne craignez pas aussi, belle princesse, dit le capitaine des gardes, que je sois capable de lui prêter ma main pour une action si barbare, je me résoudrais plutôt à la mort dont il me menace ; mais, quand je me poignarderais, vous n’en seriez pas plus en sûreté ; il faut trouver moyen que je puisse retourner auprès du roi, et lui persuader que vous êtes morte.

— Quel moyen trouverons-nous, dit Merveilleuse ; car il veut que vous lui portiez ma langue et mon cœur, sans cela il ne vous croira point ? Patypata qui avait tout écouté, et que la princesse ni le capitaine des gardes n’avaient pas même aperçue, tant ils étaient tristes, s’avança courageusement et vint se jeter aux pieds de