Page:Aulnoy - Les contes choisis, 1847.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
LE MOUTON

précipiter dans un étang ; j’y poussai mon cheval avec autant d’imprudence que de témérité ; mais en avançant un peu, je sentis, au lieu de la fraîcheur de l’eau, une chaleur extraordinaire ; l’étang tarit ; et par une ouverture dont il sortait des feux terribles, je tombai au fond d’un précipice où l’on ne voyait que des flammes.

Je me croyais perdu, lorsque j’entendis une voix qui me dit : il ne faut pas moins de feux, ingrat, pour échauffer ton cœur. — Hé ! qui se plaint ici de ma froideur ? m’écriai-je. — Une personne infortunée, répliqua la voix, qui t’adore sans espoir. En même temps les feux s’éteignirent ; je vis une fée que je connaissais dès ma plus tendre jeunesse, dont l’âge et la laideur m’avaient toujours épouvanté. Elle s’appuyait sur une jeune esclave d’une beauté incomparable ; elle avait des chaînes d’or qui marquaient assez sa condition. Quel prodige se passe ici, Ragotte (c’est le nom de la fée) ? lui dis-je. Serait-ce bien par vos ordres ? — Hé, par l’ordre de qui donc ? répliqua-t-elle. N’as-tu point connu jusqu’à présent mes sentiments ? Faut-il que j’aie la honte de m’en expliquer ? Mes yeux, autrefois si sûrs de leurs coups, ont-ils perdu tout leur pouvoir ? Considère où je m’abaisse, c’est moi qui te fais l’aveu de ma faiblesse, car encore que tu sois un grand roi, tu es moins qu’une fourmi devant une fée comme moi.

— Je suis tout ce qu’il vous plaira, lui dis-je, d’un air et d’un ton impatient ; mais enfin, que me demandez-vous ? Est-ce ma couronne, mes villes, mes trésors ? — Ah ! malheureux, reprit-elle dédaigneusement, mes marmitons, quand je voudrai, seront plus puissants que toi, je demande ton cœur. Hé bien, aime-moi, ajouta-t-elle, en