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FINETTE CENDRON.

Un soir que Finette avait plus dansé qu’à l’ordinaire, et qu’elle avait tardé assez tard à se retirer, voulant réparer le temps perdu et arriver chez elle un peu avant ses sœurs, en marchant de toute sa force, elle laissa tomber une de ses mules, qui était de velours rouge, toute brodée de perles. Elle fit son possible pour la retrouver dans le chemin, mais le temps était si noir, qu’elle prit une peine inutile : elle rentra au logis, un pied chaussé et l’autre nu.

Le lendemain le prince Chéri, fils aîné du roi, allant à la chasse, trouve la mule de Finette ; il la fait ramasser, la regarde, en admire la petitesse et la gentillesse, la tourne, la retourne, la baise, la chérit et l’emporte avec lui. Depuis ce jour-là, il ne mangeait plus ; il devenait maigre et changé, jaune comme un coing, triste, abattu. Le roi et la reine qui l’aimaient éperdument, envoyaient de tous côtés pour avoir de bon gibier et des confitures ; c’était pour lui moins que rien, il regardait tout cela sans repondre à la reine quand elle lui parlait. L’on envoya quérir des médecins partout, même jusqu’à Paris et à Montpellier ; quand ils furent arrivés, on leur fit voir le prince, et après l’avoir considéré trois jours et trois nuits sans le perdre de vue, ils conclurent qu’il était amoureux, et qu’il mourrait si l’on n’y apportait remède.

La reine, qui l’aimait à la folie, pleurait a fondre en eau de ne pouvoir découvrir celle qu’il aimait, pour la lui faire épouser : elle amenait dans sa chambre les plus belles dames, il ne daignait pas les regarder. Enfin elle lui dit une fois : Mon cher fils, tu veux nous faire étouffer de douleur, car tu aimes, et tu nous caches tes sentiments ; dis-