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AU SPITZBERG.

profondeur ; partout des pierres aiguës et noires, détachées des cimes, gisent pêle-mêle sur la pente, comme tenues en équilibre et prêtes à recommencer leur course au moindre ébranlement ; en haut la neige inaccessible, au milieu des rochers infranchissables, en bas l’abîme insondable ! pas un brin d’herbe, pas une fleur, pas un oiseau ; rien qu’un lichen pierreux, sorte de gale qui ronge lentement le granit ; rien que le bruit du vent qui pleure et les grondements des torrents. On se figure ainsi les lieux bouleversés par le souffle de la malédiction divine, où l’ange de la Vengeance poursuit l’ombre criminelle de Caïn.

À quelques lieues de Kingswold, on commence à descendre ; la route s’aplanit, s’améliore et s’égaye à la fois ; on en a fini avec les défilés les plus dangereux ; les sommets du Dovre sont franchis, on revoit des bouquets de sapins ; au-dessus s’élève, de loin en loin, une colonne de fumée bleuâtre, indice d’un gaard hospitalier. Enfin on atteint Sockness, la dernière étape avant Drontheim.

Drontheim, ou, si vous voulez, Trondhiem, comme disent les habitants et les géographes, est une ville de bois qui brûle assez régulièrement tous les dix ans. Les habitants en ont pris leur parti ; ils font la part du feu, et, à voir leurs maisons, ils ne la font pas trop regrettable. Leurs rues sont larges, spacieuses, tirées au cordeau, bordées de petits bâtiments peints en blanc ou en rouge, d’une tournure mesquine et froide. Drontheim est une ville riche, et fait, sans qu’il y paraisse dans ses allures extérieures, un commerce considérable ; les magasins de détail y sont organisés de façon si discrète qu’il devient