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AU SPITZBERG.

hors, c’était la protestation constante de la création éternelle de Dieu contre la création éphémère de l’homme !

À la fonderie, on me conseilla de rejoindre l’autre chute d’eau par un sentier tracé au bord de la rivière. La pluie avait cessé ; le sentier s’ouvrait devant moi tout couvert d’herbe touffue étoilée de pâquerettes et de boutons d’or ; une broussaille bien verte jetait ses branches capricieuses autour du tronc lisse de quelques bouleaux ; à vrai dire, c’était un charmant sentier ; mais le ciel était bien noir. La prudence me disait : « Monte en voiture, » ma fantaisie me disait : « Prends le sentier. » Je pris le sentier.

Au bout de dix minutes, la pluie recommença ; au bout de vingt, elle tomba à torrents et entraîna par sa violence le talus où s’appuyait le sentier du côté de la rivière ; ma promenade se changea alors en une fatigue intolérable, et devint presque un supplice. Le sentier défoncé et glissant se fit impraticable ; je tombai dans une boue d’où je ne pouvais parvenir à m’arracher ; mes vêtements mouillés vinrent ajouter à mes peines ; ma robe, une vieille robe de velours que j’avais mise à cause du froid, se gorgea tellement d’eau que je ne pus plus la porter et qu’elle me priva de remuer les jambes ; j’arrivai à me traîner comme une limace. Afin de ne pas glisser dans la rivière, je m’accrochais aux plantes et aux branchages ; mais tant d’efforts épuisèrent mes forces ; cette pluie persistante me glaça, et il vint un moment où, renonçant à sortir de ce sentier interminable et maudit, je