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VOYAGE D’UNE FEMME

qui ne gâte rien, charmants. C’est une sorte de coutelier artiste et primitif à la fois ; il sculpte et incruste les manches de ses couteaux et de ses poignards avec un gout infini, et il en fabrique les lames d’après l’ancienne méthode des armes scandinaves en cuivre, avec un simple bord en acier pour le tranchant.

Ce petit homme avait l’air vif, intelligent, curieux et éminemment sociable. Après l’avoir mis en belle humeur en lui achetant une raisonnable quantité de couteaux, je m’amusai à le faire causer. En peu de mots il me dit sa vie.

Il vivait seul avec sa femme et ses enfants sur une presqu’île voisine de la montagne percée ; l’hiver, il faisait des couteaux en famille, les travaux de la forge étant, comme il le faisait judicieusement remarquer, les plus égayants qu’on pût choisir dans un pays où le froid dure neuf mois ; l’été, il pêchait et jouissait du jour ; puis il avait pour grandes fêtes les passages du bateau à vapeur. Ces jours-là, il tirait de l’armoire son habit de noce en drap vert et le beau linge fin tissé par sa femme, et, remplissant ses corbeilles de ses meilleurs couteaux, il venait à bord. Pour lui le bateau était un spectacle splendide, un lieu plein d’enchantements. Voir ce grand et étonnant navire qui marchait sans voiles, sans rameurs, vendre quantité de couteaux, boire du vin, causer avec beaucoup de monde, cela lui faisait éprouver toutes les jouissances à la fois ; c’était sa foire, ses étrennes, son carnaval tout ensemble, tous les plaisirs, toutes les gaietés d’une année concentrés sur quelques heures. Vers le soir, il redescendait dans