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AU SPITZBERG.

mon estomac en détresse : il eût fallu des prodiges qu’aucun Dieu ne fit en ma faveur. L’ordinaire insipide de la maison Bank coûte quarante francs par personne par semaine.

Quatre fois par mois, les Lapons arrivent en foule à Hammerfest ; ils apportent le produit de leur pêche et viennent trafiquer avec les Russes. Ces jours-là, la petite ville s’anime d’une façon pittoresque et intéressante ; le port s’emplit de barques doublées de peaux de phoques, et une population étrange se répand de tous côtés. En échange de leur poisson, les Lapons remportent du beurre et des vêtements ; ils y ajoutent quelquefois de la farine, et de l’eau-de-vie toujours. Les marchés se font le plus souvent sans l’intervention de l’argent, et il est curieux de voir l’adresse russe aux prises avec l’astuce laponne. D’ordinaire chacun s’en retourne content, convaincu d’avoir attrapé son partenaire, qui se réjouit de son côté pour la même cause ; parfois il y a litige, et alors les clameurs éclatent de part et d’autre et ne tardent pas à atteindre le diapason le plus violent. Mais le vent emporte toujours la fureur des adversaires : le Lapon lésé ne passe jamais de l’injure à l’attaque en face du Russe cauteleux ; le nain se souvient à temps de la vigueur du géant ; la dispute s’éteint dans l’eau-de-vie, qui sert à tous deux : elle aide l’un à oublier sa disgrâce et l’autre à se réjouir de son succès.

Non-seulement il vient des Lapons à Hammerfest pour faire du commerce, mais un certain nombre d’entre eux y habitent et ont quitté la vie nomade pour la vie sédentaire. Mon séjour de plusieurs semaines dans cette ville aurait pu être plein d’intérêt