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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

vation croissante de glaciers est inévitable : un été de quelques semaines ne peut fondre complétement ces immenses amas de neige que répand sur le Spitzberg un hiver de dix mois, et dans un temps donné les glaciers atteindront presque le sommet des pics de granit. Ces glaciers sont tous de forme convexe, contrairement à ceux des Alpes, qui sont concaves.

Le jour de notre arrivée il pleuvait de telle sorte que je ne pus quitter le bord ; mais le lendemain, de grand matin, je m’empressai d’aller à terre. Je dis à terre, par habitude de narrateur ; je devrais dire à neige, car nulle part je ne vis la moindre parcelle de terre.

Pendant la nuit (encore un mot dont je ne devrais pas me servir, puisque nous n’avions pas de nuit), pendant mon sommeil plutôt, le dégel avait commencé, et la physionomie de la baie avait changé comme par miracle. À l’immobile solitude de la veille avait succédé le spectacle le plus agité.

Une flottille d’îles de glace entourait la corvette et couvrait la mer, à perte de vue. Ces glaces du pôle, qu’aucune poussière n’a jamais souillées, aussi immaculées aujourd’hui qu’au premier jour de la création, sont teintes des couleurs les plus vives ; on dirait des rochers de pierres précieuses : c’est l’éclat du diamant, les nuances éblouissantes du saphir et de l’émeraude confondues dans une substance inconnue et merveilleuse. Ces îles flottantes, sans cesse minées par la mer, changent de forme à chaque instant ; par un mouvement brusque, la base devient sommet, une aiguille se transforme en un champi-