Page:Aunet - Voyage d’une femme au Spitzberg, 1872.pdf/189

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

et magnifique ; on croit entendre le chœur des abîmes du vieux monde préludant à un nouveau chaos.

On n’a jamais rien vu de comparable à ce qu’on voit et à ce qu’on entend là ; on n’a jamais imaginé quelque chose de pareil, même en rêve ! Cela tient à la fois du fantastique et du réel ; cela déconcerte la mémoire, hallucine l’esprit et le remplit d’un indicible sentiment, mélange d’épouvante et d’admiration !

Si le spectacle de la baie m’apparut magique, celui du rivage était sinistre.

De tous côtés le sol était couvert d’ossements de phoques et de morses, laissés par les pêcheurs norvégiens ou russes, qui venaient autrefois faire de l’huile de poisson jusque sous cette latitude élevée ; depuis plusieurs années ils y ont renoncé, les profits ne valant pas les périls d’une telle expédition. Ces grands os de poisson, blanchis par le temps et conservés par le froid, avaient l’air d’être les squelettes des géants, habitants de la ville qui, près de là, achevait de s’abîmer dans la mer. Les longs doigts décharnés des phoques, si semblables à ceux d’une main humaine, rendaient l’illusion frappante et me causaient une sorte de terreur. Je quittai ce charnier, et, me dirigeant avec précaution sur le terrain glissant, je m’acheminai vers l’intérieur du pays. Je me trouvai bientôt au milieu d’une espèce de cimetière ; cette fois, c’étaient bien des restes humains qui étaient gisants sur la neige. Plusieurs cercueils, à demi ouverts et vides, avaient dû contenir des corps que la dent des ours blancs était venue profaner. Dans l’impossibilité de creuser des fosses, à cause de l’épaisseur de la glace, on avait primitivement mis sur le