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VOYAGE D’UNE FEMME AU SPITZBERG.

probablement aussi une nourriture ultra-tonique, indispensable dans ces latitudes, mais très-inusitée pour moi, tout cela me tenait dans une agitation nerveuse particulière ; il me semblait traverser un cauchemar.

Dans des conditions d’existence si exceptionnelles, mon costume avait aussi dû subir de profondes variations ; il était devenu très-commode et parfaitement disgracieux : je portais un pantalon d’homme et une chemise de mousse en gros drap bleu faisant blouse, une grosse cravate de laine rouge, une ceinture de cuir noir ; des bottes doublées de feutre et une casquette de marin complétaient cet ensemble de toilette qui ne sera pas imité ; inutile d’ajouter qu’en dessous j’étais bourrée de flanelle. Lorsque je montais sur le pont, j’ajoutais à cette montagne de lainage un épais caban à capuchon qui faisait de moi le plus informe paquet ; j’avais coupé mes cheveux, devenus impossibles à démêler, à cause de leur longueur, par les roulis effroyables de la traversée ; additions et retranchements concouraient, comme vous voyez, à me rendre étrangement laide : mais, en pareil lieu, on ne songe qu’à souffrir du froid le moins possible, et toute coquetterie a tort.

Je vous parlerai tout à l’heure de mes occupations ; mais, dès à présent, je mentionne le seul divertissement qui me fût permis et offert par le pays ; il était, comme vous allez en juger, tout à fait en harmonie avec mon costume. Lorsqu’il ne neigeait pas, nous nous réunissions cinq ou six personnes du bord, et allions jouer à un jeu de montagnes russes beaucoup plus en droit de porter ce nom que tout ce qu’on a