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AU SPITZBERG.

vêtu de guenilles impossibles, levait à chaque mot les bras au ciel et criait comme un sourd, afin de nous faire mieux comprendre son langage. Enfin, beaucoup de bonne volonté aidant, et le flegmatique Finlandais ne nuisant pas en répétant à mesure les mots prononcés par chaque interlocuteur, je parvins à comprendre. Il s’agissait d’un jeune renne ; François le voulait acheter pour notre garde-manger, le vieux refusait de le vendre. On en fut pour ses cris, rien ne put décider le vieil entêté à nous livrer un renne ; le tout à la grande tristesse de nos estomacs, déjà réjouis de la perspective d’un bon quartier de venaison remplaçant nos monotones conserves. Il fallut repartir ; mais quelques lieues plus loin la Providence nous gardait un dédommagement : nous aperçûmes la fumée d’un autre campement et nous rencontrâmes un magnifique troupeau de rennes. On parle rennes à propos de Lapons, comme on parle chameaux s’il s’agit d’Arabes. Il est en effet difficile de séparer ces précieux animaux du peuple auquel ils rendent des services si nombreux. Le renne est assurément plus indispensable au Lapon que le chameau ne peut l’être à l’Arabe ; sans lui tout un peuple mourrait de faim, ceci est péremptoire.

Le renne est la Providence du Lapon. Il est à la fois sa vache, son mouton, son cheval ; il le nourrit, l’habille, le traîne ; il lui procure du lait, du beurre, du fromage, une chair grasse et succulente. Le Lapon prend la peau du renne et se façonne un costume solide et chaud ; il en double son traîneau, il en fait son matelas et sa couverture ; il coud avec les tendons de l’animal ; il façonne des manches de coutelas