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AU SPITZBERG.

Les gens de Brouk n’ont pas le goût ou l’amour de la propreté : ils en ont le fanatisme, le fétichisme ! Je ne sais s’ils ont une autre religion que celle-là ; mais ils m’ont paru devoir redouter la boue plus que l’enfer, et la poussière plus que le péché ; ils dépensent un temps si considérable à balayer leurs chemins qu’il ne doit plus leur en rester pour épurer leurs consciences ; et certainement le moyen d’être accueilli chez eux, c’est d’éviter, non les vices, mais les taches.

J’ai quitté joyeusement cet absurde et colossal joujou, par un beau soleil couchant dont tout l’éclat ne pouvait rendre jolies les affreuses petites habitations de Brouk.

Près d’Amsterdam, nous avons trouvé un bon souper sous de grands arbres assez modérément émondés. Tandis que nous corrigions la lourdeur de ce repas à la bière par quelques bouteilles de vin de Bordeaux, une petite gitana espagnole, de quinze ou seize ans, basanée, fluette, avec les grands yeux hardis de sa race et de magnifiques cheveux noirs où se tordait bizarrement un lambeau de velours rouge, s’est approchée de nous, et, prenant sa guitare, a joué une séguédille sur ce rythme cadencé et nerveux qui donne tant de caractère à la musique espagnole. Cela est venu jeter comme un rayon de chaude couleur à travers le calme un peu froid du paysage, et un éclair de vive gaieté au milieu de la placidité un peu morne de nos hôtes.

Deux heures après, je m’embarquais à bord du Wilhem de Eerst, d’où je vous écris, et je serai à Hambourg demain.