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AU SPITZBERG.

ment se changea en une pente presque à pic. Il s’agissait de descendre l’équivalent de ce que nous venions d’escalader ; le guide reçut l’ordre de se mettre à la tête des chevaux afin de les maintenir ; mais, ne se méfiant pas des oscillations causées par les ressorts d’une voiture beaucoup trop parisienne pour de semblables chemins, il ne retint pas assez ses chevaux, et la voiture, entraînée par son propre poids, roula très vite, sortit de la voie et fut précipitée dans le gouffre au fond duquel mugissait le Lougen. Nous fîmes deux tours sur nous-mêmes, tout craqua horriblement, et je me rendis compte, avec la vivacité que la pensée acquiert dans les moments suprêmes, que nous allions être infailliblement broyés, puis noyés… Dieu, dans sa bonté, nous sauva de ce péril de mort ! Quelques maigres sapins croissaient au milieu des quartiers de rocs, sur le flanc déchiré du précipice ; ils s’engagèrent dans l’orbe d’une de nos roues et arrêtèrent ainsi les bonds de la calèche, qui resta suspendue au-dessus de l’abîme.

J’étais meurtrie de la tête aux pieds, mais, par une sorte de miracle, je n’étais pas blessée ; personne n’était blessé. Un des chevaux seulement se trouvait engagé dans une crevasse d’où il semblait impossible de le retirer. Lorsque la voiture s’arrêta, je me trouvai ensevelie sous une avalanche de coussins, de livres, de cartes, de bouteilles, de provisions de toute espèce. Les caissons et les poches s’étaient vidés et avaient versé sur nous le plus inextricable tohu-bohu. Tout étonnée d’être encore vivante, je sortis de la voiture avec les plus grandes précautions, afin d’éviter un ébranlement capable de lui faire recommencer