Page:Ausone - Œuvres complètes, trad Corpet, Tome II, 1843.djvu/13

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pas ce que la fortune lui avait refusé. Je ne fus ni un importun ni un bavard : je ne regardais que devant moi, et je ne cherchais point à pénétrer ce qu’une porte ou un voile cachait à mes regards. Je n’ai point forgé de ces bruits qui pouvaient déchirer la réputation d’un honnête homme ; et si j’en ai su de vrais, je les ai tus. J’ai banni la colère, j’ai banni le vain espoir, j’ai banni les soucis inquiets ; les fausses joies des biens de la terre, je les ai bannies. J’ai fui la foule et le tumulte, j’ai repoussé les amitiés des grands toujours mensongères. Je n’ai jamais pensé qu’on pût se faire un mérite de ne point faillir, et je préférais aux lois les bonnes mœurs. Enclin à la colère, j’ai comprimé de bonne heure ces emportements, et je me suis puni de ma légèreté. Je ne me suis marié qu’une fois : de cette union, qui dura neuf lustres sans atteinte et sans nuage, nous avons eu quatre enfants. Ma première fille mourut à la mamelle : celui qui naquit le dernier succomba dans sa puberté ; bien qu’à son enfance encore, ce n’était déjà plus un enfant. L’aîné parvint au comble des honneurs suprêmes ; il fut préfet des Gaules, de la Libye, du Latium. Le calme, la douceur, la sérénité de son âme se peignaient dans ses yeux, sur ses traits, dans son langage ; il montra pour son père un cœur, un amour paternel. J’ai vu son fils et son gendre proconsuls ; et j’eus l’espoir certain qu’il serait consul lui-même. Ma fille eut la gloire d’être mère ; elle mérita de nobles éloges comme épouse et comme veuve, et elle vit son fils, son gendre et le mari de sa petite-fille, illustrer tous ensemble leurs maisons par l’éclat de leurs nombreuses dignités. Moi, sans rechercher ou refuser les honneurs, je fus nommé préfet de la grande Illyrie. Ces immenses faveurs de la fortune m’engagèrent, après avoir remercié la divinité, à la prier de me retirer du monde : je craignis que quelque jour le destin ne vînt mordre et déchirer la trame encore intacte de cette vie