Page:Austen - Emma.djvu/136

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accès d’une fièvre contractée au cours d’une campagne. Il demeura fidèle à la mémoire de son ami et, bien que plusieurs années se fussent écoulées entre la mort du pauvre Fairfax et le retour du colonel en Angleterre, sa reconnaissance n’en fut pas affaiblie : dès son arrivée, il s’occupa de rechercher l’enfant et s’intéressa à elle. Le colonel était marié et avait une fille à peu près de l’âge de Jane ; cette dernière fut invitée à venir passer de longs mois chez les Campbell ; elle était jolie et intelligente et fut prise en affection par toute la famille ; quand Jane eut neuf ans, la grande tendresse que leur fille manifestait pour sa petite compagne et en même temps leur désir de se montrer de véritables amis amenèrent le colonel et Mme Campbell à proposer de prendre la charge entière de l’enfant. L’offre fut acceptée, et depuis cette époque Jane avait fait partie de la famille du colonel Campbell ; elle n’était plus venue chez sa grand’mère qu’en visite de temps en temps.

Il fut décidé que l’on ferait d’elle une institutrice ; les quelques milliers de francs qu’elle avait hérités de son père ne pouvaient, en effet, suffire à lui assurer l’indépendance et le colonel Campbell n’était pas lui-même en situation de la lui procurer ; car bien que son revenu provenant de ses appointements et de ses charges fût considérable, il n’avait, d’autre part, qu’une petite fortune personnelle qu’il devait transmettre intacte à sa fille ; mais il espérait qu’en donnant à Jane une éducation soignée, il la mettrait à même de gagner sa vie honorablement. En vivant constamment avec des gens intelligents et cultivés, le cœur et l’intelligence de l’enfant s’étaient affinés ; de plus la résidence du colonel Campbell étant à Londres, tous les talents d’agrément avaient été cultivés sous la direction de maîtres de premier ordre. Les dispositions et les capacités de Jane Fairfax étaient dignes des soins dont les entoura l’amitié et à dix-huit ans elle était aussi qualifiée qu’on peut l’être à cet âge pour l’instruction et l’éducation des autres ; mais les Campbell étaient trop attachés à leur jeune amie pour se résigner à se séparer d’elle : ni le père ni la mère n’avaient le courage de prendre une décision et la fille ne pouvait en supporter la pen-