Page:Austen - Emma.djvu/252

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— Mais vous ne connaissez pas le monde comme moi. Vous ne savez pas combien il y a de candidates pour les situations de premier ordre. J’en ai eu la preuve pendant un de mes séjours à Maple Grove : une cousine de Mme Suckling, Mme Bragge, qui cherchait une gouvernante, reçut une quantité incroyable de demandes. Cette dame, bien entendu, appartient à la meilleure société. Je ne vous citerai qu’un fait ; on se sert de bougies de cire dans la salle d’étude ! Vous pouvez imaginer, d’après ce détail, quel sort enviable attendait l’élue ! De toutes les maisons du royaume, celle de Mme Bragge est celle où je préférerais vous voir.

— Le colonel et Mme Campbell doivent rentrer en ville vers le milieu de l’été et j’irai les rejoindre. À cette époque il est possible que je sois disposée à m’occuper de cette question, mais je ne désire pas que vous vous donniez la peine de prendre des informations pour le moment.

— Oui, je connais vos scrupules de discrétion ; pourtant les Campbell eux-mêmes ne peuvent pas ressentir beaucoup plus d’intérêt pour vous que je n’en éprouve. Je compte écrire à Mme Partridge d’ici un jour ou deux et lui donnerai mandat de se tenir continuellement à l’affût et de me mettre au courant.

— Je vous remercie mille fois, mais je préférerais que vous ne fissiez pas allusion à moi.

— Votre inexpérience m’amuse, ma chère enfant. Une situation comme celle à laquelle vous avez droit ne se rencontre pas tous les jours ; il nous faut dès à présent poser nos premiers jalons.

— Excusez-moi, Madame, mais ce n’est en aucune façon mon intention ; je ne veux rien faire moi-même et je souhaite que mes amis observent la même réserve. Le moment venu, je ne crains pas de rester longtemps inoccupée. Il y a à Londres des bureaux de placement où les offres et les demandes sont centralisées ; on vend là, je ne dirai pas la chair, mais l’intelligence humaine.


(À suivre.)