Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/14

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la crois aussi très agréable ; laissez-moi demander à ma danseuse la permission de vous présenter [1].

— Laquelle voulez-vous dire ? » Et, s’étant retourné, il considéra un instant Élisabeth, puis répondit froidement : « Elle est passable, mais pas assez belle pour me tenter, d’ailleurs je ne suis pas homme à prendre soin des délaissées ; mais vous perdez votre temps avec moi, vous feriez mieux d’aller jouir des sourires gracieux de votre dame. »

M. Bingley suivit son avis. M. Darcy passa à l’autre bout du salon, laissant Élisabeth très peu prévenue en sa faveur ; elle raconta cependant avec gaieté ce qu’elle venait d’entendre, car, douée d’un caractère vif et enjoué, les choses ridicules la divertissaient merveilleusement.

Cette soirée se passa d’une manière très agréable pour la famille Bennet ; la mère avait vu sa fille aînée fort admirée par la société de Netherfield, ces dames s’étaient plu à causer avec elle, et M. Bingley deux fois l’avait fait danser : le plaisir qu’en éprouvait Hélen fut aussi vif que celui de sa mère, mais elle en parla bien moins. Élisabeth partageait la satisfaction de sa sœur ; quant à Mary, le bonheur de s’être entendu nommer aux dames Bingley comme une jeune personne des plus accomplies la rendait toute glorieuse ; et Kitty et Lydia, ayant eu la bonne fortune de ne point manquer de danseurs, étaient aussi au comble de la joie.

Elles retournèrent donc fort gaiement au petit village de Longbourn où elles demeuraient, et dont leur père était le plus riche habitant.

Elles trouvèrent M. Bennet dans son cabinet ; avec un livre, le temps lui paraissait toujours court ; d’ailleurs il était curieux de savoir l’issue d’une soirée qui avait donné lieu à tant de calculs et de projets. Il espérait que tous les desseins de sa femme sur l’étranger auraient échoué ; mais il s’aperçut bientôt qu’elle avait une histoire bien différente à lui raconter.

« Oh ! mon cher monsieur Bennet, dit-elle en entrant, nous avons eu un charmant bal, j’aurais bien voulu que vous y fussiez ; Hélen a été tant admirée, c’était à qui lui donnerait le plus de louanges, M. Bingley l’a trouvé charmante et l’a fait danser deux fois ; c’est très vrai, mon cher, il a dansé deux fois avec elle, et c’est la seule demoiselle qu’il ait demandée une seconde fois ! D’abord il avait pris Mlle Lucas, j’étais toute déconcertée de le voir danser avec elle ; mais il ne l’a pas admirée, il est certain que cela n’est pas possible, elle est si laide ; il a paru surpris en voyant Hélen descendre la contredanse, a demandé

  1. Lorsqu’on veut danser avec une femme qu’on ne connaît point, l’usage veut qu’on se fasse présenter à elle par la maîtresse de la maison, ou bien encore par quelqu’un qui la représente. Offrir la main à une femme sans lui avoir été présenté serait presque une incivilité.