Page:Austen - Orgueil et préjugé, 1966.djvu/56

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— Vous voulez que j’explique une opinion qu’il vous plaît d’appeler la mienne, bien que je ne l’aie pas adoptée ; mais, en imaginant les choses comme vous les représentez, il faut vous ressouvenir, mademoiselle Bennet, que l’ami qui est supposé désirer le retard de son voyage ne fait que le désirer, et le demande simplement, sans dire si aucun avantage en peut résulter pour M. Bingley.

— Céder facilement, sans hésiter, à la prière d’un ami n’est pas un mérite à vos yeux ? dit Élisabeth.

— Céder sans conviction ne peut donner une grande idée du jugement de l’un ni de l’autre.

— Vous me paraissez ne rien accorder à l’influence de l’amitié : le nom du demandeur, lorsque c’est un ami, justifie la demande, sans qu’il soit besoin de raisons ni de conviction. Je ne dis rien particulièrement de la circonstance imaginée pour M. Bingley, nous ferons, ce me semble, aussi bien d’attendre qu’elle ait lieu pour y appliquer ses principes et en discuter la sagesse.

— Avant d’en dire davantage, ne vaudrait-il pas mieux examiner premièrement l’importance attachée à la demande, puis le degré d’intimité entre les deux personnes ?

— Oh ! sans doute ! s’écria Bingley ; ces choses sont à considérer, et bien d’autres rapports encore qu’il faudrait soigneusement comparer, comme la taille, la hauteur et l’air des deux personnes ; car tout cela, mademoiselle, doit entrer pour beaucoup dans une pareille discussion. Je vous jure que si Darcy n’était pas tellement supérieur à moi, par la taille, j’entends, j’aurais pour lui bien moins de déférence. Je ne connais pas d’être plus imposant que Darcy, quand il le veut ; chez lui, par exemple, ou le dimanche au soir, quand il n’a rien à faire [1].

M. Darcy sourit, mais Élisabeth, croyant le voir un peu offensé, tint son sérieux ; Mlle Bingley ressentit vivement les plaisanteries de son frère, et lui fit des reproches.

  1. Il n’y a ni jeux, ni spectacles, ni assemblées les dimanches ; on passe les soirées ordinairement en famille.