À cette mélopée, à cette première scène où Lucrèce exprime en si beaux vers les purs sentiments de son cœur, l'auditoire tout entier se sentit gagné. Un double charme agissait sur lui : l’antiquité du sujet et la jeunesse du talent. Il goûtait cette vieille histoire, il aimait cette poésie nouvelle, cette poésie à la fois héroïque et familière qui ne lui rappelait ni la tragédie solennelle et pompeuse du grand siècle, ni la tragédie routinière et sans couleur des poètes de l'Empire. L’inexpérience elle-même ajoutait son attrait à cet heureux poème. L’inexpérience réussit quelquefois au théâtre mieux que l’habileté. Chez celui qui débute, elle a un air qui ne déplaît pas, on l’appelle candeur, et l'on attend d'autres occasions pour lui donner un nom moins aimable. Un art consommé eût-il trouvé d’ailleurs rien de plus attachant que ce premier acte de Lucrèce ? Le théâtre a vu rarement une exposition plus belle et plus grande dans sa simplicité. Elle nous transporte au foyer même de la maison romaine, alors que planait sur elle le rude génie des premiers âges. Voilà bien le gynécée, voilà les dieux protecteurs, voilà l’humble quenouille de la matrone. Quelle noble et touchante figure que celle de cette femme aux yeux baissés, assise au milieu de ses esclaves, et leur donnant l’exemple du travail et des vertus austères !
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