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LA MÈRE ROBERT.


Étrange vision, digne d’un soir d’automne !
Blancs cheveux frissonnants, front caduc, œil atone,
Dos courbé, haillons vils et ballottés du vent :
La misère et l’hiver dans un portrait vivant !

« Connais-tu, demandai-je au pasteur, cette femme ?
— C’est la mère Robert, dit-il, une pauvre âme ! »
Il ne dit que ce mot. Moi, de l’interroger.

« Ah ! le sort est changeant, poursuivit le berger.
Elle ne vécut pas toujours de vie amère ;
On l’a connue heureuse épouse, heureuse mère.
Un honnête mari, deux fils, triple soutien,
Alors ne souffraient pas qu’elle manquât de rien.
Braves gens ! travailleurs d’ancienne et forte souche !
Hardi, la hache au poing, le sourire à la bouche,
Chacun d’eux en un jour eût abattu vingt troncs.
Hélas ! Dieu frappe aussi ; les meilleurs bûcherons
À leur tour sont brisés. Durant un temps de peste,
Tous trois sont morts, tous trois !… la vieille seule reste.
Depuis longtemps, au sein d’un aride abandon,
Elle végète, grâce à quelque mince don,
Misérable tribut quêté de porte en porte,
Fruit amer et douteux que l’aumône rapporte.