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HISTOIRE DE LA PRESSE FRANÇAISE

même chez les défenseurs du trône et de l’autel comme Rivarol, qui a été l’un des plus habiles et certainement le plus spirituel.

Rivarol, dont les prétentions nobiliaires ont toujours prêté beaucoup à rire, s’était fait connaître avant la Révolution, comme lauréat de l’Académie de Berlin, pour son Discours sur l’universalité de la langue française et par une satire littéraire, le Petit Almanach des grands hommes, véritable chef-d’œuvre de persiflage, qui avait déchaîné contre lui les colères et les haines de Cerutti, de Garât, de Chamfort, de Joseph Chénier, de tous les écrivains du temps, objet de ses mordantes épigrammes.

Dans les débuts de la Révolution, Rivarol hésita à prendre rang. Mais il se décida pour la défense du parti royaliste, lorsqu’il vit classés dans le parti populaire tous ceux dont il s’était moqué, les Necker, les Mirabeau, les Condorcet, les Chamfort, les Chénier, les La Harpe, les Le Brun, les Volney, les Brissot, les La Fayette, les Staël, etc. Il s’improvisa publiciste et publia ses premiers articles dans le Journal politique national de l’abbé Sabatier, présentant la critique de la Révolution plus encore que la défense de la monarchie.

Comme l’a dit le dernier biographe de Rivarol[1], sa manière, aussi originale que peu efficace, consistait moins à avoir un avis qu’à critiquer les opinions de tout le monde, et à promener tour à tour sur ses amis et ses ennemis une clairvoyance et une verve également inexorables. C’est ainsi qu’il s’adressait au parti populaire : « Voltaire a dit : Plus les hommes seront éclairés, et plus ils seront libres. Ses successeurs ont dit au peuple que plus il serait libre, plus il serait éclairé, ce qui a tout perdu. »

Il disait au roi : « Il en est des personnes des rois comme dis statues des dieux : les premiers coups portent sur le dieu môme ; les derniers ne tombent plus que sur un marbre défiguré. — Il faut attaquer l’opinion avec les armes de la raison ; nu ne tire pas des coups de fusil aux idées. — L’imprimerie est L’artillerie de la pensée. »

  1. De Lescure. Rivarol et la Société française pendant la Révolution et l’émigration. Paris, Pion, 1883, in-8e.